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les moines


Ils redisent que c’est le moment justicier
Où les moines s’en vont au chœur chanter Ténèbres
Et promener sur leurs consciences funèbres
La froide cruauté de leurs regards d’acier.

Et les voici priant : tous ceux dont la journée
S’est consumée au long hersage en pleins terreaux,
Ceux dont l’esprit sur les textes préceptoraux
S’épand, comme un reflet de lumière inclinée.

Ceux dont la solitude âpre et pâle a rendu
L’âme voyante et dont la peau blême et collante
Jette vers Dieu la voix de sa maigreur sanglante,
Ceux dont les tourments noirs ont fait le corps tordu.

Et les moines qui sont rentrés aux monastères,
Après visite faite aux malheureux des bourgs,
Aux remueurs cassés de sols et de labours,
Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires,

À leurs frères pieux disent, à lente voix,
Qu’au dehors, quelque part, dans un coin de bruyère,
Il est un moribond qui s’en va sans prière
Et qu’il faut supplier, au chœur, le Christ en croix,