Page:Verhaeren - Rembrandt, Laurens.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gestes architecturés. L’animé et l’inanimé se confondent, donnant une sensation rare et profonde quasi unique en art.

Mais la planche la plus éclatamment superbe est, sans conteste, celle des Trois Croix. Une atmosphère de fin d’univers. Des cataractes de clarté choient du ciel. Les trois suppliciés, le Christ et les deux larrons, s’érigent dans l’aveuglante lumière. Le geste défaillant de la Vierge, l’attitude extatique de saint Jean, l’agenouillement d’un homme armé au pied du gibet, le va-et-vient des soldats et des chevaux, les gens qui se rassemblent, les gens qui partent, tout le tumulte, toute la douleur, toute la cruauté, toute l’angoisse semblent comme une agitation vaine en présence de la grande lumière surnaturelle qui envahit toute la scène.

C’est uniquement du Calvaire, cette cime du monde moral chrétien, que Rembrandt a voulu évoquer l’image. Il y a admirablement réussi. Il n’a prétendu offrir au spectateur qu’un ensemble où grouilleraient les détails sans qu’ils puissent distraire de l’idée souveraine. Et son burin est devenu prestigieux. Des traits larges et violents, des ombres brusques et compactes, des blancs qui contiennent toute la lumière se meuvent, se tassent, s’illuminent sur la page, lui imprimant une sublimité unique.

Après cette série de grands chefs-d’œuvre, parmi lesquels il faut ranger encore Tobie aveugle (1651) et les Pèlerins d’Emmaüs (1654), le crayon de Rembrandt s’est complu à retracer de nombreux portraits d’amis. Il a déjà