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le poteau

en croix. Sur chacun des bras peints en blanc ainsi que l’arbre du poteau, se lisait en lettres noires un peu effacées par les intempéries le nom du village ainsi que le nombre de kilomètres à faire pour y arriver. Je n’en avais plus que pour un petit quart d’heure, et le chemin que me prescrivait le poteau était charmant. Je le suivis tout doucement, et j’aperçus bientôt le clocher du petit village de J… Cédant alors à un accès de paresse et tenté par l’herbe tendre, je me laissai aller par terre, et je restai couché quelque temps. Quand je me relevai, l’air me caressa le visage, des oiseaux qui picoraient dans une clairière voisine pépièrent, de grands nuages blancs pénétrés de soleil couraient dans l’azur lointain ; l’odeur du foin m’arrivait par bouffées enivrantes, et tout au fond de la vallée, le village où m’attendaient d’excellents parents faisait luire entre les arbres ses chaumes et ses tuiles. Un délicieux frisson me prit, et je me mis à penser qu’en somme là était le bonheur et qu’on avait bien tort d’habiter les villes. — Je me levai et instinctivement mes yeux se portèrent sur le chemin parcouru, tandis que je m’étirais avec cette volupté saine qui suit les méditations douces. Le bois dont j’ai parlé plus haut bleuissait à quelque distance, et sur ce fond sombre ressortait en blanc le poteau dont je ne voyais plus que le bras tourné dans la direction de J… ; dans la situation d’esprit où je me trouvais, ce