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mémoires d’un veuf

vite et je l’ai bientôt rattrapé. Une lacune d’une seconde dans ma mémoire me laisse ignorer comment nous sommes grimpés, — et où ? — sur l’impériale d’une voiture qui va sur rails sans que l’agent de locomotion soit aucunement apparent. Qu’est-ce que cette voiture ? Devant nous, filant sur des rails avec une allure de punaises, vont des boîtes oblongues, hautes d’environ deux mètres, peintes en bleu clair sali : elles contiennent les cercueils et c’est un train pour le cimetière. Je sais cela, c’est convenu, ce système fonctionne il y a beau temps. L’avenue oblique toujours à droite. De grandes tranchées dans de la terre glaise bâillent, vertes et jaunes, par couches. Des terrassiers appuyés sur leurs outils nous regardent filer, le train des morts et nous. Ces hommes sont grisâtres sur l’air grisâtre. Il fait froid. On doit être en novembre. Nous roulons toujours.

Et en voici bien d’une autre !

Un marché en plein vent sur un plan incliné. En large. Une centaine de places. Beaucoup de grouillement. La rapidité extraordinaire de notre course brouille un peu les objets et les faces, en même temps que le ronflement des roues sur les rails couvre tous bruits, pas et voix. Mais l’odeur nous assaille, court avec nous, tourbillonne et dévale, l’odeur fade et grasse des charcuteries du Siège, des pâtisseries et des confiseries anglaises là débi-