Page:Verlaine - Œuvres complètes, Vanier, IV.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
mémoires d’un veuf

véridique écriteau et le témoignage cruel des yeux sans regards, — quoi, ce petit a vu la lumière il n’y a pas encore longtemps comme tant d’autres et tant de millions et de milliards d’autres il a vu le soleil, les étoiles, les nuages, les arbres, des joujoux, des passants, des régiments, sa mère !

Et le Veuf s’arrête, infiniment ému. Il fouille dans sa maigre poche, opération lente à cause de l’ulster et du veston à retrousser, et de gants fourrés du Louvre à défaire, et c’est d’une main presque tremblante, en poire (telle celle d’une vraie dévote dans l’aumônière de Monsieur le Curé) qu’il dépose en quelque sorte au fond de la timbale d’étain, comme par crainte d’offenser la fierté des yeux morts pourtant du seul vrai pauvre d’entre cette foule de pauvres, une petite pièce, — d’or ou d’argent, sa main gauche ne le sait pas…

Ceci si doucement fait, si discret, et avec une fuite si glissante et comme pudique, que le petit aveugle s’écrie d’une voix cassée, mais combien pénétrante :

— Merci, madame !