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mémoires d’un veuf

ni croix, ni couronnes, ni rien ; un cercueil avec un drap noir dessus et derrière, personne.

Personne derrière. Autour quatre porteurs au pas de course. Et le corbillard allait au trot, comme un fiacre payé à la course. Ce spectacle si commun d’ailleurs à Paris, et qui ne m’eût pas frappé dans tout autre moment, m’impressionna très fort, énervé sans doute que j’étais par l’atmosphère plus haut spécifiée, ou encore bien par cela même que je ne pensais à rien.

Et d’abord, je me représentais le mort dans sa bière de cent sous, bouche ouverte, poings crispés, crispés ? — entortillé à la diable d’un linceul trop étroit laissant passer les pieds maigres, et les cahots du corbillard le secouant terriblement, ses dents s’entrechoquant, sa tête bat les voliges de çà de là ; ses cheveux gris s’emmêlent sur son front jaune et de sa poitrine s’échappe une manière de gémissement sourd.

— « Qu’est-ce que ce mort sans ami ni parent pour suivre son convoi, sans un prêtre pour souhaiter bon voyage à son âme ? — Un vieux criminel ? — Est-ce que ces gens-là n’ont pas toujours des complices, des maîtresses, des enfants adoptifs, légitimes au besoin ! — Un suicidé, alors ? — Peut-être bien. — Un misérable ? — À coup sûr ; mais de quelle nature ? — Un mendiant, un escroc, un ouvrier, un bohème, un poète ?… »