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les hommes d’aujourd'hui

Arthur Rimbaud, c’est-à-dire un très grand poète, absolument original, d’une saveur unique, prodigieux linguiste, — un garçon pas comme tout le monde, non, certes ! mais net, carré sans la moindre malice avec toute la subtilité, de qui la vie, à lui qu’on a voulu travestir en loup-garou, est toute en avant dans la lumière et dans la force, belle de logique et d’unité comme son œuvre, et semble tenir entre ces deux divins poèmes en prose détachés de ce pur chef-d’œuvre, flamme et cristal, fleuves et fleurs et grandes voix de bronze d’or : les Illuminations :


VEILLÉES

J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au fond des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.

Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville, elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et, courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.