Page:Verlaine - Album de vers et de prose, 1888.djvu/2

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Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquiétait le col des belles sous les branches,
Et c’étaient des éclairs soudains de nuques blanches,
Et ce régal comblait nos jeunes yeux de fous.

Le soir tombait, un soir équivoque d’automne :
Les belles, se pendant rêveuses à nos bras,
Dirent alors des mots si spécieux, tout bas,
Que notre âme depuis ce temps tremble et s’étonne.

(Fêtes galantes).


LE FAUNE

Un vieux faune de terre cuite
Rit au centre des boulingrins,
Présageant sans doute une suite
Mauvaise à ces instants sereins.

Qui m’ont conduit et t’ont conduite,
Mélancoliques pélerins.
Jusqu’à cette heure dont la fuite
Tournoie au son des tambourins.

(Fêtes galantes).


L’AMOUR PAR TERRE

Le vent de l’autre nuit a jeté bas l’Amour
Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc
Souriait en bandant malignement son arc,
Et dont l’aspect nous fit tant songer tout un jour !

Le vent de l’autre nuit l’a jeté bas ! le marbre
Au souffle du matin tournoie, épars. C’est triste
De voir le piédestal, où le nom de l’artiste
Se lit péniblement parmi l’ombre d’un arbre,

Oh ! c’est triste de voir debout le piédestal,
Tout seul ! et des pensers mélancoliques vont
Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond
Evoque un avenir solitaire et fatal.

Oh ! c’est triste. — Et toi-même, est-ce pas ? est touchée
D’un si dolent tableau, bien que ton œil frivole
S’amuse au papillon de pourpre et d’or qui vole
Au-dessus des débris dont l’allée est jonchée.

(Fêtes galantes).