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AUTOUR DE LA LUNE.

savait l’estimer. Mais aucune erreur ne pouvait entacher les calculs de Barbicane. À une heure du matin, cette vitesse devait être et serait nulle.

Un autre phénomène devait, d’ailleurs, marquer le point du projectile sur la ligne neutre. En cet endroit les deux attractions terrestres et lunaires seraient annulées. Les objets ne « pèseraient » plus. Ce fait singulier, qui avait si curieusement surpris Barbicane et ses compagnons à l’aller, devait se reproduire au retour dans des conditions identiques. C’est à ce moment précis qu’il faudrait agir.

Déjà le chapeau conique du projectile était sensiblement tourné vers le disque lunaire. Le boulet se présentait de manière à utiliser tout le recul produit par la poussée des appareils fusants. Les chances se prononçaient donc pour les voyageurs. Si la vitesse du projectile était absolument annulée sur ce point mort, un mouvement déterminé vers la Lune suffirait, si léger qu’il fût, pour déterminer sa chute.

« Une heure moins cinq minutes, dit Nicholl.

— Tout est prêt, répondit Michel Ardan en dirigeant une mèche préparée vers la flamme du gaz.

— Attends », dit Barbicane, tenant son chronomètre à la main.

En ce moment, la pesanteur ne produisait plus aucun effet. Les voyageurs sentaient en eux-mêmes cette complète disparition. Ils étaient bien près du point neutre, s’ils n’y touchaient pas !…

« Une heure ! » dit Barbicane.

Michel Ardan approcha la mèche enflammée d’un artifice qui mettait les fusées en communication instantanée. Aucune détonation ne se fit entendre à l’intérieur où l’air manquait. Mais, par les hublots, Barbicane aperçut un fusement prolongé dont la déflagration s’éteignit aussitôt.

Le projectile éprouva une certaine secousse qui fut très-sensiblement ressentie à l’intérieur.

Les trois amis regardaient, écoutaient sans parler, respirant à peine. On aurait entendu battre leur cœur au milieu de ce silence absolu.

« Tombons-nous ? demanda enfin Michel Ardan.

— Non, répondit Nicholl, puisque le culot du projectile ne se retourne pas vers le disque lunaire ! »

En ce moment, Barbicane, quittant la vitre des hublots, se retourna vers ses deux compagnons. Il était affreusement pâle, le front plissé, les lèvres contractées.

« Nous tombons ! dit-il.

— Ah ! s’écria Michel Ardan, vers la Lune ?

— Vers la Terre ! répondit Barbicane.

— Diable ! s’écria Michel Ardan, et il ajouta philosophiquement :