Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/148

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terna s’écrie à la vue de l’un de ces Tadjiks, superbement drapé dans son khalat multicolore :

« Quel beau grand premier rôle !… Quel admirable Mélingue !… Le voyez-vous dans le Nana-Sahib de Richepin, ou le Schamyl de Meurice ?

— Il ferait de l’argent ! répond Mme Caterna.

— S’il en ferait… je te crois, Caroline ! » réplique l’enthousiaste trial.

Et pour lui comme pour tant de gens de théâtre, la recette n’est-elle pas la plus sérieuse et la moins discutable manifestation de l’art dramatique ?

Il est déjà cinq heures, et en cette incomparable cité de Samarkande, les décors succèdent aux décors… Bon ! voilà que cela me gagne. Certainement le spectacle finira après minuit. Mais, puisque nous partons à huit heures, il faut se résigner à perdre la fin de la pièce. Comme je tenais, ne fût-ce que pour l’honneur du reportage, à ne point être passé à Samarkande sans avoir vu le tombeau de Tamerlan, l’arba revient vers le sud-ouest, et s’arrête près de la mosquée de Gour-Émir, voisine de la ville russe. Quel quartier sordide, quel entassement de maisons d’argile et de paillis, quelle agglomération de misérables masures, nous venons de traverser !

La mosquée a grand air. Elle est coiffée de son dôme, où domine le bleu cru de la turquoise, comme d’un bonnet persan, et son unique minaret, maintenant décapité, étincelle d’arabesques émaillées, qui ont gardé leur pureté antique.

Nous avons visité la salle centrale sous la coupole. Là se dresse le tombeau du « Boiteux de fer », — ainsi appelait-on Timour le Conquérant. Entouré des quatre tombes de ses fils et de son saint patron, c’est sous une pierre de jade noir, brodée d’inscriptions, que blanchissent les os de Tamerlan, dont le nom semble résumer tout le quatorzième siècle de l’histoire asiatique. Les murs de cette salle sont plaqués de jade où se dessinent d’innombrables rinceaux