Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/203

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de tête m’a permis de constater que la caisse est toujours à la même place. Certains ronflements prouvent que Kinko, emboîté comme à l’ordinaire, dort paisiblement. Je n’ai pas voulu le réveiller, et je le laisse rêver de son adorable Roumaine.

Le lendemain, Popof m’apprend que le train, avec son allure de train omnibus, a passé par Kargalik, point de jonction des routes de Kilian et de Tong. La nuit a été fraîche, car nous sommes encore à l’altitude de douze cent mètres. À partir de la station de Guma, la direction du railway est exactement de l’ouest à l’est, en suivant à peu près le trente-septième parallèle, — le même qui traverse, en Europe, Séville, Syracuse et Athènes.

Vu un seul cours d’eau de quelque importance, le Karakash, sur lequel apparaissent quelques radeaux en dérive et des files de chevaux et d’ânes aux endroits guéables entre les bancs de cailloux. Il coupe la voie ferrée à une centaine de kilomètres avant Khotan, où nous sommes arrivés à huit heures du matin.

Deux heures d’arrêt, et comme cette ville peut donner un avant-goût des cités célestes, j’ai voulu en prendre un rapide aperçu au passage.

En réalité, on dirait d’une ville turkomène qui aurait été bâtie par des Chinois, ou d’une ville chinoise qui aurait été bâtie par des Turkomènes. Monuments et habitants tiennent de cette double origine. Les mosquées ont un faux air de pagodes, les pagodes ont un faux air de mosquées.

Aussi ne suis-je pas étonné que M. et Mme Caterna, qui n’ont pas voulu manquer cette occasion de mettre un pied en Chine, aient été quelque peu déçus.

« Monsieur Claudius, me fait observer le trial, il n’y a pas ici un décor où l’on puisse jouer la Prise de Pékin !

— Mais nous ne sommes pas à Pékin, mon cher Caterna.

— C’est juste, et il faut savoir se contenter de peu.

— Même du plus peu, comme disent les Italiens.

— Eh ! s’ils disent cela, ils ne sont pas déjà si bêtes ! »