quatre cents millions de sujets, à peine si nous le savons et désirons le savoir ! »
Il est évident que le jeune Céleste a mille et dix mille fois tort, pour employer sa formule numérative ; mais ce n’est pas moi qui l’entreprendrai à ce propos.
Au dîner, M. et Mrs. Ephrinell, placés l’un près de l’autre, ont à peine échangé quelques paroles. Leur intimité semble moins étroite depuis qu’ils ont été mariés. Peut-être sont-ils absorbés dans le calcul de leurs intérêts réciproques, encore mal fusionnés. Ah ! ils ne comptent pas par lunes et par veilles, ces Anglo-Saxons ! Ils sont pratiques, trop pratiques !
La nuit a été fort mauvaise. Le ciel, d’une teinte pourpre et sulfurée, était devenu très orageux vers le soir, l’atmosphère étouffante, la tension de l’électricité excessive. Cela nous vaut un orage « extrêmement réussi ». C’est du moins l’expression dont M. Caterna a cru devoir se servir, en ajoutant qu’il n’a jamais rien vu de mieux, si ce n’est peut-être au second acte du Freyschütz pendant la chasse infernale. La vérité est que le train court, pour ainsi dire, au milieu d’une zone éblouissante d’éclairs, à travers un retentissement de foudre que l’écho des montagnes prolonge indéfiniment. Je pense même que le tonnerre a dû tomber à plusieurs reprises ; mais les rails métalliques, s’emparant du fluide, forment comme autant de conducteurs qui préservent les wagons de ses atteintes. C’est, en vérité, un beau spectacle, quelque peu effrayant, ces feux de l’espace que la pluie torrentielle ne peut éteindre, ces décharges continues des nuages, auxquels se mêlent les sifflets stridents de notre locomotive, lorsqu’elle passe devant les stations de Yanlu, de Youn-Tcheng, de Houlan-Sieu et de Da-Tsching.
À la faveur de cette nuit si troublée, j’ai pu communiquer avec Kinko, lui remettre les provisions, et m’entretenir pendant quelques instants avec lui.
« C’est après-demain, m’a-t-il demandé, que nous serons arrivés à Pékin, monsieur Bombarnac ?