Il n’en est pas moins vrai que j’ai commis une sottise de plus, et une fameuse ! Ce seigneur Faruskiar dont j’ai fait — par dépêche — un héros pour les lecteurs du XXe Siècle ! Décidément, avec mes bonnes intentions, je mérite de prendre rang entre les meilleurs paveurs de l’enfer.
Nous sommes, je l’ai dit, à deux cents pas de la vallée de Tjou, large dépression, qui a nécessité l’établissement d’un viaduc long de trois cent cinquante à quatre cents pieds. Le thalweg de cette vallée, semé de roches, est à cent pieds de profondeur. Si le train eût été précipité au fond de ce gouffre, pas un de nous n’en serait sorti vivant. Cette mémorable catastrophe, — très intéressante au point de vue du reportage, — se fût chiffrée par une centaine de victimes. Mais, grâce au sang-froid, à l’énergie, au dévouement du jeune Roumain, nous avons échappé à cet effroyable sinistre.
Tous ?… Non !… Kinko a payé de sa vie le salut de ses compagnons de voyage.
En effet, au milieu du désarroi général, mon premier soin a été de visiter le fourgon des bagages, qui est resté intact. Évidemment, si Kinko avait survécu à l’explosion, il avait dû rentrer dans ce fourgon, réintégrer sa prison roulante, attendre que je pusse me mettre en communication avec lui…
Hélas ! la caisse est vide, — vide comme celle d’une Société en faillite… Kinko a été victime de son sacrifice.
Ainsi il y avait un héros parmi nos compagnons de voyage, et ce n’était pas ce Faruskiar, abominable bandit caché sous la peau d’un administrateur, dont j’ai si maladroitement jeté le nom aux quatre coins du monde ! C’était ce Roumain, cet humble, ce petit, ce pauvre fiancé que sa fiancée attendra vainement, qu’elle ne doit plus jamais revoir !… Eh bien ! je saurai lui faire rendre justice… Je dirai ce qu’il a fait… Son secret, je me reprocherais de le garder… S’il a fraudé la Compagnie du Grand-Transasiatique, c’est grâce à cette fraude que tout un train de voyageurs a été sauvé !… Nous étions perdus, nous périssions de la plus épouvantable des morts, si Kinko n’eût été là !