Page:Verne - Claudius Bombarnac.djvu/50

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— Savez-vous comment il se nomme, cet Allemand ?

— Le baron Weissschnitzerdörfer.

— Et avec ce nom-là, il va jusqu’à Pékin ?…

— Jusqu’à Pékin, comme ce major russe qui a pris place auprès du capitaine de l’Astara. »

Je regarde le personnage en question, âgé d’une cinquantaine d’années, type moscovite, barbe et cheveux grisonnants, physionomie avenante. Je sais le russe, il doit savoir le français. Peut-être est-ce le compagnon de voyage que je rêve ?

« Vous dites que c’est un major, monsieur Ephrinell ?

— Oui, un médecin de l’armée russe, et on l’appelle le major Noltitz. »

Décidément, l’Américain est plus avancé que moi, et pourtant il ne fait pas métier de reporter.

Le roulis n’étant pas encore très sensible, chacun mange à l’aise. Fulk Ephrinell s’entretient avec miss Horatia Bluett, et je comprends qu’il y ait eu rapprochement entre ces deux natures si parfaitement anglo-saxonnes.

En effet, l’un est courtier en dents, et l’autre est courtière en cheveux. Miss Horatia Bluett représente une importante maison de Londres, la maison Holmes-Holme, à laquelle le Céleste-Empire expédie annuellement pour deux millions de chevelures féminines. Elle va à Pékin, au compte de ladite maison, fonder un comptoir, où se concentreront les produits récoltés sur les sujettes… et sans doute aussi sur les sujets du Fils du Ciel. L’affaire se présente dans des conditions d’autant plus favorables que la Société secrète du Lotus Bleu pousse à la suppression de la natte, emblème de l’asservissement des Chinois aux Tartares Mandchous.

« Allons, pensai-je, si la Chine envoie ses cheveux à l’Angleterre, l’Amérique lui envoie ses dents. C’est un échange de bons procédés, et tout est pour le mieux. »

Nous sommes à table depuis un quart d’heure. Il n’est survenu aucun incident. Le voyageur à figure glabre et sa blonde compagne