Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/49

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— Parbleu, balbutia M. Désirandelle, vous en parlez à votre aise !… Ah ! cette traversée jusqu’à Oran !… Ni Mme  Désirandelle ni moi nous ne nous y serions risqués, si l’avenir d’Agathocle n’eût été en jeu !… »

Il s’agissait, en effet, de son avenir à cet unique héritier des Désirandelle. Chaque soir, Clovis Dardentor, qui était un vieil ami de cette famille, venait faire son bésigue ou son piquet dans la maison de la rue de la Popinière. Il avait presque vu naître cet enfant, il l’avait vu grandir, — physiquement, du moins, — car l’intelligence était restée chez lui en arrière de la croissance. Agathocle fit au lycée ces mauvaises études qui sont le lot ordinaire des paresseux et des ineptes. De vocation pour ceci plutôt que pour cela, il n’en montrait aucune. Ne rien faire dans la vie lui paraissait être l’idéal d’une créature humaine. Avec ce qui lui reviendrait de ses parents, il devait un jour avoir une dizaine de mille francs de rente. C’est déjà quelque chose, mais on ne s’étonnera pas que M. et Mme  Désirandelle eussent rêvé pour leur fils un avenir mieux renté. Ils connaissaient cette famille Elissane, qui, avant d’habiter l’Algérie, demeurait à Perpignan. Mme  Elissane, veuve d’un ancien négociant, âgée de cinquante ans alors, jouissait d’une assez belle aisance, grâce à la fortune que lui avait laissée son mari, lequel, après s’être retiré des affaires, était allé se fixer en Algérie. La veuve n’avait qu’une fille de vingt ans. Un joli parti, Mlle  Louise Elissane ! disait-on, jusque dans le Sud-Oranais, et aussi dans les Pyrénées-Orientales, ou, du moins, dans la maison de la rue de la Popinière. Un mariage entre Agathocle Désirandelle et Louise Elissane, qu’aurait-on pu imaginer de mieux assorti ?…

Or, avant de se marier, il faut se connaître, et, si Agathocle et Louise s’étaient vus enfants, ils n’avaient conservé nul souvenir l’un de l’autre. Donc, puisque Oran ne venait pas à Perpignan, Mme  Elissane n’aimant point à se déplacer, c’était à Perpignan d’aller à Oran. De là, ce voyage, bien que Mme  Désirandelle éprouvât les symptômes du mal de mer, rien qu’en regardant les lames déferler