Page:Verne - Clovis Dardentor, Hetzel, 1900.djvu/75

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que le métier des armes ne soit plus ce qu’il était autrefois. Au bon temps jadis, on avait une guerre tous les trois ou quatre ans. C’était l’avancement assuré, des grades, des croix. Mais la guerre, — une guerre européenne, s’entend, — on l’a rendue à peu près impossible avec les énormes contingents qui se chiffrent par millions d’hommes à armer, à conduire, à nourrir. Nos jeunes officiers n’ont plus à entrevoir, dans l’avenir, que d’être retraités capitaines, au moins la plupart. La carrière militaire, même avec beaucoup de chance, ne donnera jamais ce qu’elle donnait, il y a trente ans. On a remplacé les grandes guerres par les grandes manœuvres. C’est le progrès, sans doute, au point de vue social, mais…

— Jean, fit observer Marcel Lornans, il fallait raisonner ainsi avant de se mettre en route pour l’Algérie…

— Comprenons-nous, Marcel. Je suis toujours disposé, comme tu l’es, à m’engager. Cependant, si la déesse aux mains pleines se décidait à les ouvrir sur notre passage…

— Tu es fou ?

— Parbleu !

— Tu vois déjà dans ce M. Dardentor…

— Un père !

— Tu oublies donc que, pour t’adopter, il faudrait qu’il t’eût donné des soins pendant six ans de ta minorité… Est-ce qu’il l’aurait fait, par hasard ?…

— Pas que je sache, répondit Jean Taconnat, ou, en tout cas, je ne m’en suis point aperçu.

— Je vois que la raison te revient, mon cher Jean, puisque tu plaisantes…

— Je plaisante et je ne plaisante pas.

— Eh bien ! est-ce que, toi, tu aurais sauvé ce digne homme des flots, des flammes ou dans un combat ?…

— Non… mais je le sauverai… ou plutôt, toi et moi, nous le sauverons…

— Comment ?…