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LA DESTINÉE DE JEAN MORÉNAS.

vivait heureuse au village de Sainte-Marie-des-Maures.

Les jeunes gens exerçaient l’un et l’autre le métier de menuisier, et, tant sur place que dans les villages environnants, le travail ne leur manquait pas. Tous deux également habiles, ils étaient également recherchés.

Inégale, par contre, était la place qu’ils occupaient dans l’estime publique, et il faut reconnaître que cette différence de traitement était justifiée. Tandis que le cadet, assidu à l’ouvrage et adorant passionnément sa mère, eût pu servir de modèle à tous les fils, l’aîné ne laissait pas de se permettre quelques incartades de temps à autre. Violent, la tête près du bonnet, il était souvent, après boire, le héros de querelles, voire de rixes, et sa langue lui faisait encore plus de tort que ses actes. Il se répandait couramment, en effet, en propos inconsidérés. Il maudissait son existence bornée dans ce petit coin de montagnes et proclamait son désir d’aller sous d’autres cieux conquérir une fortune vite acquise. Or, il n’en faut pas plus pour inspirer de la méfiance aux âmes traditionnelles des paysans. Toutefois, les griefs qu’on pouvait élever à son encontre n’étaient pas bien graves. C’est pourquoi, tout en accordant à son frère une plus entière sympathie, on se contentait d’ordinaire de le considérer comme un cerveau brûlé, aussi capable du