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HIER ET DEMAIN.

la barre et que je consacrais à garder la ligne de foi toute mon attention défaillante, qu’il me sembla discerner quelque chose dans l’Ouest. Croyant être le jouet d’une erreur, j’écarquillai les yeux…

Non, je ne m’étais pas trompé.

Je poussai un véritable rugissement, puis, me cramponnant à la barre, je criai d’une voix forte :

« Terre par tribord devant ! »

Quel effet magique eurent ces mots ! Tous les moribonds ressuscitèrent à la fois, et leurs figures hâves apparurent au-dessus de la lisse de tribord.

« C’est bien la terre », dit le capitaine Morris, après avoir examiné le nuage qui émergeait à l’horizon.

Une demi-heure plus tard, il était impossible de conserver le moindre doute. C’était bien la terre que nous trouvions en plein océan Atlantique, après l’avoir vainement cherchée sur toute la surface des anciens continents !

Vers trois heures de l’après-midi, le détail du littoral qui nous barrait la route devint perceptible, et nous sentîmes renaître notre désespoir. C’est qu’en vérité ce littoral ne ressemblait à aucun autre, et nul d’entre nous n’avait souvenir d’en avoir jamais vu d’une si absolue, d’une si parfaite sauvagerie.

Sur la terre, telle que nous l’habitions avant le désastre, le vert était une couleur très abondante. Nul d’entre nous ne connaissait de côte si déshéritée, de contrée si aride, qu’il ne