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KÉRABAN-LE-TÊTU.

il lui faudrait voyager dans ces conditions, et peut-être dans de pires encore ? Il lui faudrait poursuivre cette route absurde, cet itinéraire insensé, en charrette, à cheval, à pied, qui sait ? Et tout cela pour la convenance d’un têtu d’Osmanli, devant lequel tremblait son maître ! Il lui faudrait perdre enfin le peu qui lui restait de ventre, pendant que le seigneur Kéraban, en dépit des contrariétés et des fatigues, continuerait à se maintenir dans une rotondité majestueuse !

Oui ! Mais qu’y faire ? Aussi Bruno, n’ayant pas d’autre ressource que de grommeler, grommela t-il en son coin. Un instant, il songea à rester seul, à abandonner Van Mitten à toutes les conséquences d’une pareille tyrannie. Mais la question d’argent se dressait devant lui, comme elle s’était dressée devant son maître, lequel n’avait pas seulement de quoi lui payer ses gages. Donc, il fallait bien le suivre !

Pendant ces discussions, l’araba marchait péniblement. Le ciel, horriblement lourd, semblait s’abaisser sur la mer. Les sourds mugissements du ressac indiquaient que la lame se faisait au large. Au delà de l’horizon, le vent soufflait déjà en tempête.