Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
188
L’AGENCE THOMPSON AND Co.

son, à la table du déjeuner, que l’agitation des flots avait largement dégarnie.

Toutefois son humeur s’assombrit de nouveau, quand, remonté sur le pont, il vit le même point que sir Hamilton lui avait signalé, obstinément fixé dans le sillage du Seamew. Cette obstination lui donna à penser.

Ce vapeur ne pouvait-il avoir été envoyé à sa poursuite par le Gouverneur de Saint-Michel ? Il est vrai que ce pouvait être tout aussi bien un paquebot effectuant sa traversée normale entre les Açores et Madère. L’avenir fournirait la solution de ce problème.

Ces soucis de la passerelle, le spardeck les ignorait, et pourtant il n’avait pas son animation coutumière. Non seulement la grosse houle avait diminué le nombre de ses habituels promeneurs, mais encore, semblait-il, le mécontentement de la veille continuait à peser sur les passagers demeurés valides. Ils allaient et venaient isolément. Réfractaires aux invites des fauteuils groupés amicalement, la plupart restaient debout, solitaires, accrochés aux batavioles pour conserver leur équilibre.

Hamilton, le cœur ulcéré, offrait au vent du ciel son front qu’avait rougi l’outrage. Pour rien au monde, il n’eût adressé la parole à un être vivant, et son ressentiment s’en prenait à toute la nature. Retranché dans sa dignité, il ressassait à satiété les scènes du matin, tandis que sa fille, sous la surveillance de lady Hamilton, causait avec Tigg, rendu à la liberté par le malaise des misses Blockhead.

Hamilton constatait cette aimable causerie. Lui, il était seul. Si du moins son ami don Hygino avait été là ! Mais don Hygino gisait dans sa cabine, terrassé par le mal de mer, et Hamilton se jugeait avec amertume abandonné de tout l’univers.

La tristesse du baronnet avait-elle donc déteint sur ses compagnons ? On l’eût juré, à voir leurs visages moroses.

Dolly occupée à quelques rangements, Alice Lindsay, momentanément seule, était allée s’asseoir à l’extrême arrière, à une place qu’elle affectionnait particulièrement. Accoudée à la bataviole du