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SINGULIERS EFFETS DU MAL DE MER.

couronnement, elle laissait errer sur la mer un regard vague et chargé d’une tristesse sans cause dont son âme était appesantie.

À dix pas d’elle, Jack, immobile, semblait poursuivre en lui-même quelque travail difficile et compliqué.

Quand il estima avoir suffisamment réfléchi, Jack, d’un pas lent, se dirigea vers sa belle-sœur et s’assit à son côté.

Perdue dans sa rêverie, celle-ci ne s’aperçut même pas de la présence du sombre et taciturne personnage.

« Alice ! murmura Jack.

Mrs. Lindsay tressaillit et fixa sur son beau-frère des yeux voilés encore de la brume fine des lointains contemplés.

— Alice, reprit Jack, je voudrais avoir avec vous un sérieux entretien. Le moment me paraît convenable, le spardeck étant à peu près désert. Voulez-vous, Alice, m’accorder cet entretien ?

— Je vous écoute, Jack, répondit avec bonté Alice, étonnée de ce solennel préambule.

— Je vais, vous le savez, reprit Jack après un instant de silence, atteindre trente et un ans. Ce n’est pas un grand âge, certes, mais je n’ai cependant pas de temps à perdre si je veux modifier mon existence. Celle que j’ai menée jusqu’ici me fait horreur. J’en veux une autre, utile et féconde. Bref ! Alice, j’ai songé au mariage.

— C’est fort bien pensé, Jack, approuva Alice, étonnée seulement du moment choisi pour une pareille confidence. Il ne vous reste plus qu’à trouver une femme, et ce ne sera pas pour vous chose difficile.

— C’est fait, Alice, interrompit Jack Lindsay. Ou du moins il est une femme que j’ai choisie au fond du cœur. Depuis longtemps, je la connais, je l’estime et je l’aime. Mais, elle, Alice, m’aime-t-elle, ou puis-je espérer qu’elle m’aimera jamais ?

Un merveilleux instinct sert les femmes et les avertit du danger. Aux premiers mots de Jack, Alice avait senti celui qui la menaçait. Détournant la tête, c’est d’une voix brève et froide qu’elle répondit :