Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
232
L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Mais, sur cette route, excellente cette fois, nul ne s’empressa de s’engager. Tous, groupés en un peloton serré, regardaient.

Ils étaient au bord de l’ancien cratère central de Madère. Devant eux, à huit cents mètres de profondeur, un gouffre se creusait qu’on ne saurait décrire, et ils admiraient, stupéfaits, un des plus beaux décors qu’ait signés l’art sublime du créateur.

En silence, ils plongeaient leurs regards dans ce gouffre autrefois empli par la foudre et le feu, quand, dans les temps préhistoriques, l’île brûlait toute, phare immense de l’immense océan. Longtemps, l’éclair avait jailli, les laves avaient coulé par cent volcans, comblant la mer, repoussant les eaux, créant des rivages. Puis la force plutonienne s’était ralentie, les volcans s’étaient éteints, le brûlot inaccessible était devenu l’île douce et maternelle aux créatures. Le dernier, alors que depuis des siècles déjà les flots battaient les rivages refroidis, alors que tous les autres cratères s’étaient apaisés, celui-ci avait dû s’emplir encore de tonnerres. Mais des siècles avaient encore coulé, et ses colères s’étaient éteintes à leur tour. Les roches fondues s’étaient solidifiées, laissant entre elles ce prodigieux abîme aux parois sauvages, puis l’humus s’était formé, des plantes avaient germé, un village enfin avait pu se fonder où avait rugi l’incendie, et le cratère terrible était devenu le « Curral das Freias » — Parc des religieuses — au fond duquel murmure un ruisseau.

Impressionnant toutefois, ce lieu où grondèrent toutes les fureurs de la Terre. De ces fureurs il porte les marques. Nul ne saurait dire ses parois vertigineuses, son prodigieux entassement de roches colossales, la fantaisie grimaçante des détails. Un cercle de montagnes sourcilleuses l’entoure. À leur gauche, les touristes voyaient les « Torrinhas », élevant leurs tours jumelles à mille huit cent dix-huit mètres ; à leur droite, le pic Arriero, haut de mille sept cent quatre-vingt-douze mètres ; en face d’eux, le sommet le plus élevé de Madère, le pic Ruivo, portant jusqu’à mille huit cent quarante-six mètres son front empanaché de brumes.