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LE LEVER DE LA LUNE ROUSSE.

ment au cours de l’après-midi, on cessa de s’occuper d’Alice et de Robert, et les touristes furent repris par leurs préoccupations personnelles.

Thompson, alors, fut arrangé de belle manière. Si les mots désagréables possédaient la qualité de la pesanteur, il eût été indubitablement assommé. Divisés par groupes, les victimes de l’Agence épanchèrent leur bile en de hargneux apartés. Toute la kyrielle des griefs défila de nouveau. Aucun ne fut oublié, qu’on s’en rapporte à Hamilton et à Saunders.

Cependant, malgré tous les efforts de ces deux provocateurs, la mauvaise humeur demeura platonique. Personne n’eut l’idée de porter ses doléances à Thompson. À quoi bon ? Celui-ci ne pouvait, l’eût-il voulu, rien changer au passé. Puisqu’on avait eu la sottise de croire aux promesses de l’Agence, il fallait en subir les conséquences, jusqu’à la fin d’ailleurs prochaine de ce voyage, dont le dernier tiers ne vaudrait sans doute pas mieux que les deux premiers.

Pour le moment, il commençait mal, ce dernier tiers. À peine avait-on quitté Madère, qu’un désagrément supplémentaire mettait à l’épreuve la patience des passagers. Le Seamew ne marchait pas. Nul besoin d’être marin pour s’apercevoir de l’incroyable diminution de sa vitesse. Où étaient-ils, les douze nœuds annoncés, promis, tenus… pendant trop peu de jours ? À peine si maintenant on faisait cinq milles à l’heure ! Un bateau de pêche eût donné utilement la remorque.

Quant à la cause de cet excessif ralentissement, il était aisé de la deviner aux bruits de la machine, qui geignait, haletait, ferraillait lamentablement, au milieu des sifflements de la vapeur fusant par les joints.

De ce train-là, il faudrait quarante-huit heures pour arriver aux Canaries, tout le monde le comprenait. Mais que faire à cela ? Rien évidemment, ainsi que le capitaine Pip l’avait déclaré à Thompson d’ailleurs désolé de ce retard très fâcheux pour ses intérêts.