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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

On le subit en silence, cet ennui. Comprenant l’inutilité de la colère, on glissait à la tristesse. Sur les visages, la lassitude avait remplacé toute expression menaçante.

Ce calme fatigué devait être bien profond, pour que les passagers ne s’en départissent pas au cours du déjeuner sonné à l’heure habituelle. Dieu sait pourtant s’il eût pu servir de thème aux plaintes les plus légitimes !

Il est à croire que Thompson cherchait à rétablir un équilibre budgétaire cruellement compromis par les retards successifs, car la table se ressentait de ces soucis d’économie. Quelle différence entre ce déjeuner et ce repas au cours duquel Saunders pour la première fois avait donné issue à sa bile !

Pourtant, même alors, nul ne songea à formuler des plaintes à l’avance stériles. Chacun mangea en silence sa médiocre pitance. Thompson qui, tout de même un peu apeuré, surveillait ses victimes du coin de l’œil, fut en droit de les supposer définitivement domptées. Seul, Saunders ne désarmait pas, et soigneusement il inscrivit-ce nouveau grief sur le carnet où il notait ses dépenses journalières. Il ne fallait rien oublier. Dépenses et griefs se régleraient en même temps.

Robert, en apparaissant vers deux heures sur le spardeck, rendit quelque vie à la morne assemblée. Tous les passagers se portèrent à sa rencontre, et plus d’un qui ne lui avait pas encore adressé la parole lui serra la main chaleureusement ce jour-là. L’interprète accueillit avec une modestie polie les compliments qui ne lui furent pas épargnés, et, dès qu’il le put honnêtement, s’isola avec Dolly et Roger.

Le rassemblement importun à peine dissipé, Dolly, les yeux pleins de larmes joyeuses, lui avait saisi les deux mains. Robert, vivement ému lui-même, n’eut pas la petitesse de se dérober aux témoignages d’une si naturelle reconnaissance. Un peu embarrassé toutefois, il sut gré à son compatriote de venir à son secours.

« Maintenant que nous sommes entre nous, dit Roger après