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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/322

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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Le village lui-même est des plus singuliers. Peuplé uniquement de charbonniers, qui, si on n’y met bon ordre, auront tôt fait de priver l’île de ses derniers vestiges de végétation, Artenara est une cité de troglodytes. Seule, l’église élève son clocher dans l’air libre. Les demeures des humains sont creusées dans la muraille du cirque. Elles s’étagent les unes au-dessus des autres, éclairées par des ouvertures qui jouent le rôle de fenêtres. Le sol de ces maisons est recouvert de nattes, sur lesquelles on s’assoit pour prendre les repas. Quant aux autres sièges et aux lits, la nature en a fait les frais, et les ingénieux Canariens se sont contentés de les sculpter à même le tuf.

Il ne pouvait être question de passer la nuit à Artenara. L’hospitalité de ces troglodytes eût été trop rudimentaire. On s’imposa donc encore une heure de marche, et, vers six heures, on put mettre définitivement pied à terre à Tejeda, petit bourg auquel la chaudière a donné son nom.

Il était temps. Quelques-uns des touristes n’en pouvaient littéralement plus. Pour les trois Blockhead notamment, un supplément de route eût été rigoureusement impossible. Tour à tour jaunes, vertes, blanches, il avait fallu à miss Mary et à miss Bess une âme héroïque pour accomplir jusqu’au bout la tâche imposée par leur humanité. Que de cris dont elles avaient dû étouffer la tonalité diverse suivant le sens des chocs auxquels les contraignaient leurs montures ! Mais aussi, quel soupir elles poussèrent en atteignant le port, c’est-à-dire l’auberge, dont le propriétaire regardait avec effarement cet arrivage inhabituel.

C’était une auberge, en effet, rien qu’une auberge, où le guide canarien amenait sa colonne de touristes. Fort suffisante pour lui-même, il l’avait estimée suffisante pour les autres, et il ne comprit rien aux mines renfrognées qui accueillirent le signal de la halte. En tous cas, il était trop tard pour récriminer. Puisque Tejeda n’avait rien de mieux que cette auberge, il fallait bien s’en contenter.

La réalité, d’ailleurs, était supérieure à l’apparence. Les