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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

concluait avec dépit qu’il avait un peu trop tôt interrompu le tête-à-tête.

Bien qu’ils n’eussent pas les mêmes raisons, les autres touristes s’étaient mis d’eux-mêmes au diapason. Une sourde contrainte enveloppait le bâtiment tout entier.

Que Jack Lindsay fût sombre, quoi d’étonnant à cela ? N’était-ce pas son état ordinaire ? Seul, à l’écart, il ressassait avec rage les incidents de la veille. Que s’était-il passé, lorsque, malgré sa haine, il avait dû, vaincu, s’arrêter à mi-route ? Non content de le deviner trop aisément, il aurait voulu voir et savoir.

Des colères le prenaient. Ah ! s’il avait pu d’un seul coup éventrer ce maudit navire ! Avec quelle joie il eût précipité ses compagnons et soi-même dans les flots, pourvu qu’il eût le plaisir d’y faire périr en même temps sa belle-sœur et son exécrable sauveur !

Mais, si la méchante humeur de Jack s’expliquait facilement, d’où venait la tristesse des autres ? Pourquoi, au cours de l’après-midi, ne s’étaient-ils pas réunis en groupes comme au début du voyage ? Pourquoi n’avaient-ils pas échangé leurs impressions en longeant cette rébarbative Île de Fer, au lieu de rester isolés et silencieux ?

C’est qu’ils avaient perdu le plus nécessaire des biens : l’espoir, qui peut au besoin remplacer tous les autres. Jusque-là, l’avenir leur avait fait supporter le présent. Il était possible qu’une excursion réussie, un hôtel confortable, une promenade agréable, vinssent compenser une excursion manquée, un hôtel honteux, une promenade éreintante. Aujourd’hui, le livre était clos. Le voyage terminé ne réservait plus aucune surprise aux voyageurs. Et c’est pourquoi ceux-ci passaient leur temps à récapituler en eux-mêmes les ennuis dont ils avaient souffert ; et c’est pourquoi, leur mécontentement porté à son comble par leur dernière désillusion, ils gardaient le silence, par honte réciproque de s’être laissé prendre à ce traquenard.

Ce silence persistant, Saunders en jouissait profondément. Il