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UN ACCIDENT QUI ARRIVE À POINT.

— Ici, prononça Baker froidement, je suis un passager comme les autres, et j’ai comme les autres le droit de me dire volé.

— Mais pourquoi y êtes-vous, ici ? objecta Thompson exaspéré. Qui vous forçait d’y venir ?

— Ah çà, répondit Baker, pensez-vous donc que nous allons nous laisser tranquillement ruiner ? Pourquoi je suis ici ? Pour voir. Et j’ai vu. Je sais maintenant ce que cachent les rabais insensés que font les farceurs de votre espèce. Puis, j’ai compté sur un autre plaisir. Vous connaissez sans doute l’histoire de cet Anglais qui suivait un dompteur dans l’espoir de voir ses fauves le dévorer ?… Eh bien ! moi, c’est absolument la même chose.

Thompson fit la grimace.

— Il n’y a qu’une différence entre l’Anglais et moi, c’est que j’ai envie d’y mettre personnellement la dent ! Si je ne me retenais, savez-vous bien que je vous boxerais, monsieur ?

Ce fut autour des deux champions un tonnerre de bravos. Excité par ces clameurs, Baker prit la position classique et fit un pas en avant.

Thompson, lui, aurait bien voulu en faire un en arrière. Mais le moyen de percer la barrière humaine qui le cernait de toutes parts ?

— Messieurs ! messieurs ! priait-il en vain.

Et Baker, qui avançait toujours, allait peut-être passer de la parole à l’action…

Tout à coup, une violente commotion ébranla le navire, et un sifflement assourdissant retentit dans la machine.

Tous, y compris les belligérants, demeurèrent frappés de stupéfaction. Au sifflement des cris de détresse s’étaient mêlés, et par le capot et les manches à air de la machine une vapeur épaisse s’élevait. L’hélice stoppa.

Que s’était-il passé ?

Le capitaine Pip, le premier, s’était précipité à l’endroit du péril. Il allait enjamber l’échelle de fer conduisant à la machinerie, quand un chauffeur sauta sur le pont et s’enfuit en criant.