Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/406

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
186
dix heures en chasse.

de betteraves. Je n’oserais affirmer que cela pût s’appeler une compagnie, ou c’était une compagnie réduite au minimum de l’effectif.

En effet, elle ne se composait que de deux perdreaux.

Peu importait. Je tirai dans le tas, et, cette fois encore, mon coup de fusil fut immédiatement suivi de deux autres. Pontcloué et Matifat avaient enfin fait simultanément parler la poudre.

Un de ces pauvres volatiles tomba. L’autre s’envola de plus belle, et alla se remettre à un kilomètre de là, derrière une forte ondulation du terrain.

Ah ! déplorable perdreau, de quelle dispute tu as été la cause ! Quelle discussion entre Matifat et Pontcloué ! Chacun se prétendait l’auteur du meurtre. Aussi, quelles aigres reparties ! Quels sous-entendus blessants ! Quelles allusions regrettables ! Et les qualificatifs ! Accapareur !… Il n’y en a que pour lui !… Au diable les gens qui ne sont pas honteux !… C’était la dernière fois que l’on chasserait ensemble !… Et autres aménités d’un genre plus picard, que ma plume se refuse à écrire.

La vérité est que les deux coups de ces messieurs étaient partis en même temps.

Il y en avait bien eu un troisième, qui avait précédé les deux autres. Mais — cela n’était pas même discutable ! — est-ce qu’il était admissible que ce perdreau eût été démonté par moi ? Jugez donc, un écolier !

Aussi, dans la querelle de Pontcloué et de Matifat, je ne crus pas devoir intervenir, même avec la généreuse pensée de les mettre d’accord. Et, si je ne réclamai pas, c’est que je suis naturellement timide… Vous connaissez le reste de la phrase.


VII


Enfin, pour la plus grande satisfaction de nos estomacs, midi était arrivé. On s’arrêta au pied d’un talus, à l’ombre d’un vieil orme. Les fusils, les carniers, bien vides, hélas ! furent mis de côté. Puis, l’on déjeuna pour reprendre quelque peu de ces forces si inutilement dépensées depuis le départ.

Triste repas, en somme ! Autant de récriminations que de bouchées ! Horrible pays !… Une chasse bien gardée ! Les braconniers la dévastaient !… On devrait en pendre un à chaque arbre, avec un écriteau sur la poitrine !… La chasse devenait impossible !… Dans deux ans, il n’y aurait plus de