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L’ÉTOILE DU SUD.

fusil, de façon à les rabattre de mon côté, il n’en faut pas davantage, et je me charge du reste ! »

Cyprien s’empressa de déposer à terre tout ce qui aurait pu gêner ses mouvements, et, armé de son fusil, il se mit en mesure d’exécuter la manœuvre indiquée par son serviteur.

Celui-ci ne perdit pas de temps. Il descendit en courant le raide talus de la vallée, jusqu’à ce qu’il fut arrivé près d’un sentier battu qui en occupait le fond. Ce devait être évidemment le chemin des girafes, à en juger par les innombrables empreintes qu’y avaient laissées leurs sabots. Là, le Chinois prit position derrière un gros arbre, déroula la longue corde qui ne le quittait jamais, et, la coupant en deux, il en forma deux longueurs de trente mètres. Puis, après avoir lesté un des bouts de chacune de ces cordes avec un gros caillou, — ce qui en fit un excellent lasso, — il attacha fortement l’autre bout aux basses branches de l’arbre. Enfin, lorsqu’il eut pris soin de rouler sur son bras gauche l’extrémité libre de ces deux engins, il s’abrita derrière le tronc et attendit.

Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées qu’un coup de feu retentissait à quelque distance. Aussitôt, un piétinement rapide, dont le bruit, pareil à celui d’un escadron de cavalerie, grossissait de seconde en seconde, annonça que les girafes détalaient comme Lî l’avait prévu. Elles venaient droit sur lui, en suivant leur sentier, mais sans soupçonner la présence d’un ennemi qui se trouvait sous le vent.

Ces girafes étaient vraiment superbes, avec leurs naseaux au vent, leurs petites têtes effarées, leurs langues pendantes. Quant à Lî, il ne s’inquiétait guère de les regarder. Son poste avait été judicieusement choisi près d’une sorte d’étranglement du chemin, où ces animaux ne pouvaient passer qu’à deux de front, et il n’avait qu’à attendre.

Il en laissa d’abord défiler trois ou quatre ; puis, avisant l’une d’elles, qui était d’une taille extraordinaire, il lança son premier lasso. La corde siffla, s’enroula autour du cou de la bête, qui fit quelques pas encore ; mais soudain la corde se tendit, lui serra le larynx, et elle s’arrêta.

Le Chinois n’avait pas perdu son temps à la regarder faire. À peine avait-il vu son premier lasso arriver au but que, prenant en main le second, il venait de le jeter sur une autre girafe.

Le coup ne fut pas moins heureux. Tout cela s’était passé en moins d’une demi-minute. Déjà le troupeau épouvanté s’était dispersé en toutes direc-