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Page:Verne - L’Étoile du sud, Hetzel, 1884.djvu/171

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TRAHISON.

tions ; mais les deux girafes, à demi étranglées et pantelantes, restaient prisonnières.

« Arrivez donc, petit père ! » cria le Chinois à Cyprien, qui accourait vers lui, peu confiant dans la manœuvre.

Il fallut bien, pourtant, se rendre à l’évidence. Il y avait là deux superbes bêtes, grandes, fortes, bien en chair, le jarret fin, la croupe luisante. Mais Cyprien avait beau les regarder et les admirer, l’idée de s’en servir comme d’une monture ne lui paraissait guère réalisable.

« En effet, comment se tenir sur une échine pareille, qui descend vers l’arrière-train avec une inclinaison de soixante centimètres, au moins ? disait-il en riant.

— Mais en se mettant à cheval sur les épaules et non pas sur les flancs de la bête, répondit Lî. D’ailleurs, est-il bien difficile de placer une couverture roulée sous l’arrière de la selle ?

— Nous n’avons pas de selle.

— J’irai chercher la vôtre tout à l’heure.

— Et quelle bride mettre à ces bouches-là ?

— C’est ce que vous allez voir. »

Le Chinois avait réponse à tout, et, avec lui, les actes suivaient de près les paroles.

L’heure du dîner n’était pas arrivée que déjà, avec une partie de sa corde, il avait fait deux licous très forts, dont il coiffa les girafes. Les pauvres bêtes étaient si ahuries de leur mésaventure, et d’ailleurs d’un tempérament si doux, qu’elles n’opposèrent aucune résistance. D’autres bouts de cordes devaient servir de rênes.

Ces préparatifs terminés, rien ne fut plus aisé que de conduire en laisse les deux captives. Cyprien et Lî, revenant sur leurs pas, retournèrent alors au campement de la veille pour y reprendre la selle et les objets qu’ils avaient dû abandonner.

La soirée s’acheva à compléter ces arrangements. Le Chinois était véritablement d’une merveilleuse adresse. Non seulement il eut bientôt modifié la selle de Cyprien, de telle sorte qu’elle pouvait se poser horizontalement sur le dos de l’une des girafes, mais il se fabriqua pour lui-même une selle de branchages ; puis, par surcroît de précaution, il passa la moitié de la nuit à briser les velléités de résistance des deux girafes en les montant successivement et en leur démontrant, par des arguments péremptoires, qu’il fallait lui obéir.