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L’ÉTOILE DU SUD.

Là, le pauvre Cafre fut couché sur son lit. Bardik lui fit prendre une tasse de thé fumant. Au bout d’un quart d’heure, Matakit s’endormait d’un sommeil paisible et calme : il était sauvé.

Cyprien se sentit au cœur cette allégresse incomparable que l’homme éprouve, après avoir arraché une vie humaine aux griffes de la mort. Tandis que Thomas Steel et ses auxiliaires, fortement altérés par tant de manœuvres thérapeutiques, allaient célébrer leur succès chez le cantinier le plus voisin, en l’arrosant de flots de bière, Cyprien, voulant rester auprès de Matakit, prit un livre, n’interrompant de temps à autre sa lecture que pour le regarder dormir, comme un père qui surveille le sommeil de son fils convalescent.

Depuis six semaines que Matakit était entré à son service, Cyprien n’avait eu que des motifs d’être satisfait et même émerveillé de lui. Son intelligence, sa docilité, son ardeur au travail, étaient incomparables. Il était brave, bon, obligeant, d’un caractère singulièrement doux et gai. Aucune besogne ne le rebutait, aucune difficulté ne paraissait être au-dessus de son courage. C’était à se dire, parfois, qu’il n’y avait pas de sommet social qu’un Français, doué de facultés semblables, n’eût pu prétendre à atteindre. Et il fallait que ces dons précieux fussent venus se loger sous la peau noire et le crâne crépu d’un simple Cafre !

Pourtant Matakit avait un défaut, — un défaut très grave, — qui tenait évidemment à son éducation première et aux habitudes par trop lacédémoniennes qu’il avait prises dans son kraal. Faut-il le dire ? Matakit était quelque peu voleur, mais presque inconsciemment. Lorsqu’il voyait un objet à sa convenance, il trouvait tout naturel de se l’approprier.

En vain son maître, alarmé de voir cette tendance, lui faisait-il à ce propos les remontrances les plus sévères ! En vain l’avait-il menacé de le renvoyer, s’il le prenait encore en faute ! Matakit promettait de n’y plus retomber, il pleurait, il implorait son pardon, et, dès le lendemain, si l’occasion s’offrait à lui, il recommençait.

Ses larcins n’étaient pas d’ordinaire bien importants. Ce qui excitait plus particulièrement sa convoitise n’avait pas grande valeur : c’étaient un couteau, une cravate, un porte-crayon, quelque vétille pareille. Mais Cyprien n’en était pas moins navré de constater une tare semblable dans une nature si sympathique.

« Attendons !… espérons ! se disait-il. Peut-être arriverai-je à lui faire comprendre ce qu’il y a de mal à voler ainsi ! »