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L’ÉBOULEMENT.

Et Cyprien, tout en le regardant dormir, songeait à ces contrastes si bizarres qu’expliquait le passé de Matakit au milieu des sauvages de sa caste !

Vers la tombée de la nuit, le jeune Cafre se réveilla aussi frais, aussi dispos que s’il n’avait pas subi deux ou trois heures d’une suspension à peu près complète des fonctions respiratoires. Il pouvait maintenant raconter ce qui était arrivé.

Le seau, dont sa face s’était trouvée accidentellement coiffée, et une longue échelle, en faisant arc-boutant au-dessus de lui, l’avaient d’abord protégé contre les effets mécaniques de l’éboulement, puis, garanti assez longtemps d’une asphyxie complète, en lui laissant, au fond de sa prison souterraine, une petite provision d’air. Il s’était fort bien rendu compte de cette heureuse circonstance et avait tout fait pour en profiter, en ne respirant plus qu’à de longs intervalles. Mais, peu à peu, l’air s’était altéré. Matakit avait senti ses facultés graduellement s’obscurcir. Enfin il était tombé dans une sorte de sommeil lourd et plein d’angoisse, d’où il ne sortait, par instants, que pour tenter un suprême effort d’inspiration. Puis, tout s’était effacé. Il n’avait plus eu conscience de ce qui lui arrivait, et il était mort… car c’était bien de la mort qu’il revenait !

Cyprien le laissa causer un instant, le fit boire et manger, l’obligea, malgré ses protestations, à rester pour la nuit dans le lit sur lequel il l’avait déposé. Enfin, bien certain désormais que tout danger était passé, il le laissa seul, afin d’aller faire sa visite habituelle à la maison Watkins.

Le jeune ingénieur avait besoin de conter à Alice ses impressions de la journée, le dégoût qu’il prenait de la mine, — dégoût que le déplorable accident du matin ne faisait qu’accentuer davantage. Il était écœuré à l’idée d’exposer la vie de Matakit pour la chance très problématique de conquérir quelques mauvais diamants.

« Faire moi-même ce métier, passe encore ! se disait-il. Mais l’imposer pour un misérable salaire à ce malheureux Cafre, qui ne me doit rien, c’est simplement odieux ! »

Il dit donc à la jeune fille quels étaient ses révoltes et ses déboires. Il lui parla de la lettre qu’il avait reçue de Pharamond Barthès. En vérité, ne ferait-il pas mieux de suivre le conseil de son ami ? Que perdait-il à partir pour les bords du Limpopo et à tenter la fortune de la chasse ? Ce serait plus noble, à coup sûr, que de gratter la terre, comme un avare, ou de la faire gratter à son compte par quelques pauvres diables ?