Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/107

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Barsac, le docteur Châtonnay et Amédée Florence regardèrent Jane Mornas, celui-ci avec intérêt, ceux-là avec étonnement. Les premiers se demandaient ce que la jeune fille entendait par le mot qu’elle venait de prononcer, et quel devoir pouvait être assez impérieux pour l’entraîner au point le plus extrême de la boucle du Niger ? Le dernier, qui, par tempérament, avait toujours prêté à ses compagnons des raisons particulières d’accomplir ce voyage, n’éprouvait d’autre sentiment qu’une grande satisfaction, à la pensée qu’il allait connaître l’une de celles qui jusqu’alors lui étaient restées cachées.

Jane Mornas reprit :

— Pardonnez-moi, messieurs, je vous ai trompés…

— Trompés ?… répéta Barsac dont l’étonnement grandissait.

— Oui, je vous ai trompés. Si M. de Saint-Bérain vous a donné son nom véritable et s’il est bien vrai qu’il soit Français comme vous-mêmes, je me suis, moi, présentée à vous sous un faux nom et sous une nationalité d’emprunt. Je suis Anglaise et je m’appelle Jane Buxton. Je suis la fille de lord Buxton, la sœur du capitaine George Buxton, et c’est auprès de Koubo que reposent les restes de mon malheureux frère. C’est donc là qu’il me faut aller, car c’est là seulement que j’entreprendrai vraiment l’œuvre que je me suis fixée.

Alors Jane Buxton — son nom lui sera restitué désormais — raconta le drame de Koubo, l’accusation infamante portée contre George Buxton, la mort de celui-ci, la honte et le désespoir de lord Glenor. Elle dit le but sacré qu’elle s’était proposé : réhabiliter son frère, effacer la tache faite à l’honneur de son nom, et rendre la paix au vieillard dont la vie s’achevait dans la morne solitude du château d’Uttoxeter.

Une vive émotion s’était emparée de ses auditeurs. Ils admiraient cette jeune fille qui, pour des raisons si nobles, avait osé affronter et allait affronter encore tant de fatigues et de dangers.

Quand elle eut fini de parler :

— Miss Buxton, dit Amédée Florence, non sans une certaine dureté, je me permettrai de vous faire un reproche.

— Un reproche ?… À moi ?… s’étonna Jane, qui attendait de son récit un effet tout autre.

— Oui, un reproche, et un sérieux encore !… Quelle singulière — et peu flatteuse — opinion vous faites-vous donc, miss Buxton, des Français en général et d’Amédée Florence en particulier ?

— Que voulez-vous dire, monsieur Florence ? balbutia Jane Buxton, troublée.