Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/108

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— Eh quoi ! s’écria le reporter d’un ton indigné, vous vous êtes imaginée comme ça qu’Amédée Florence allait vous permettre d’aller sans lui faire un petit tour à Koubo ?

— Oh ! monsieur Florence… protesta avec émotion Jane, qui commençait à comprendre.

— C’est du joli !… continuait cependant Amédée Florence en simulant toujours une vive indignation. Et d’un égoïsme !…

— Je ne vois pas… essaya de placer Jane à demi souriante.

— Laissez-moi parler, je vous prie, interrompit Florence avec autorité. Vous avez donc oublié que je suis journaliste, plus spécialement reporter, et que j’ai cette particularité de posséder un directeur ? Or, savez-vous ce qu’il me dirait, mon directeur, s’il apprenait que j’ai raté un reportage aussi sensationnel sur l’affaire Buxton ? Eh bien ! il me dirait : « Mon petit Florence, vous n’êtes qu’un âne ! » Et il me flanquerait à la porte en deux temps. Or, je tiens à ma place, moi. Je partirai donc avec vous.

— Oh ! monsieur Florence !… répéta Jane profondément émue.

Le reporter la regarda en face.

— Je pars avec vous, miss Buxton, affirma-t-il avec énergie. Et ne perdez pas votre temps à me soutenir le contraire, car je le sais mieux que vous, j’imagine.

Jane tendit la main au brave et courageux garçon.

— J’accepte, monsieur Florence, lui dit-elle, tandis que deux grosses larmes tombaient de ses yeux.

— Et moi, miss Buxton, m’acceptez-vous aussi ? demanda tout à coup la grosse voix du docteur Châtonnay.

— Vous, docteur ?…

— Sans doute, moi. Une pareille expédition ne peut se passer de médecin. Puisque vous allez vous faire hacher en menus morceaux, paraît-il, il faut bien que je sois là pour les recoudre.

— Oh ! docteur !… répéta encore Jane, qui commençait à pleurer pour de bon.

Mais que devint cette émotion, quand elle entendit Barsac s’écrier d’une voix où grondait la colère :

— Eh bien ! et moi ?… Je ne compte plus, alors, que personne ne songe à me demander mon avis ?

Barsac était réellement furieux. Lui aussi, il avait pensé tout de suite à se joindre à miss Buxton. Il ferait ainsi coup double, puisque l’itinéraire de la jeune fille était très analogue au sien, et que l’imprudence était justifiée par un but dont il appréciait la noblesse. Au surplus, quatre hommes, quatre Français, pouvaient-ils abandonner froidement cette jeune fille dans la brousse et la laisser courir seule sa dangereuse aventure ? Florence et le docteur Châtonnay lui avaient donc coupé un effet, comme on dit au théâtre, ce qui est toujours une chose très désagréable.

— Je ne parle pas pour M. Florence, continua-t-il, en accentuant encore en apparence sa mauvaise humeur véritable, M. Florence est libre. Mais, vous, docteur, vous faites partie de la mission que je commande, je suppose. Auriez-vous donc le projet de déserter à votre tour, afin que votre chef soit abandonné du dernier de ses soldats ?

— Je vous assure, monsieur Barsac… balbutia le docteur, qui n’avait pas réfléchi à ce côté de la question.

— Si telle n’est pas votre intention, monsieur, serait-ce donc que vous auriez la pensée que j’irais moi aussi à Koubo ? Mais est-ce à vous qu’il appartient de décider de notre itinéraire ? Vous appartient-il, surtout, en prenant une telle initiative, de me donner une leçon ?