Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/113

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Au surplus, la perte de ces chevaux était le seul incident fâcheux qui fût survenu jusqu’alors.

La contrée était très plate, on y cheminait sans fatigue, aussi vite que l’autorisait le train des porteurs, et on continuait à s’approvisionner facilement dans les villages, ce qui permettait de conserver intacte l’avance initiale de quatre jours de vivres.

Cependant, l’après-midi du 5 et toute la journée du 6 s’étant écoulées sans qu’on eût aperçu un seul village, force fut d’entamer cette réserve. On ne s’en inquiéta pas, au surplus, Tongané affirmant qu’on n’allait pas tarder à rencontrer une agglomération d’une certaine importance où il serait facile de se ravitailler.

On parvint, en effet, le soir du 6 mars, à cette bourgade, qui portait le nom de Yaho, mais les prévisions de Tongané ne se réalisèrent pas. Dès qu’on s’approcha du tata, des vociférations et même quelques coups de fusils à pierre partirent de son sommet, sur lequel se pressait une nombreuse foule de nègres. C’était la première fois qu’on recevait pareil accueil depuis le départ de Conakry, si on excepte la démonstration des naturels de Kokoro. Encore, à Kokoro, avait-il été possible de transformer leurs dispositions belliqueuses en sentiments plus amicaux, tandis qu’à Yaho on ne put même pas essayer d’arriver à un semblable résultat.

Barsac eut beau s’ingénier afin d’entrer en relation avec les habitants de ce village, les moyens employés échouèrent les uns après les autres. Un drapeau blanc fut en vain porté au bout d’un bâton. Cet emblème symbolique, dont le sens pacifique est compris sur toute la surface de la terre, provoqua un ouragan de hurlements, accompagnés d’une nuée de balles, qui eussent été mortelles pour le porteur du drapeau, s’il n’avait eu la prudence de se tenir à distance suffisante. Tongané, puis successivement deux des porteurs, gens de même race, ou à peu près, que les habitants de Yaho, furent sans plus de succès envoyés en parlementaires. On refusa de les écouter, et on ne leur répondit que par le jet de projectiles divers, que la maladresse seule des tireurs rendit inoffensifs. Il était évident que la population de ce village entendait, pour une raison ou pour une autre, n’avoir aucun rapport avec des étrangers, et qu’elle ne voulait même pas connaître leurs intentions. Il fallut y renoncer.

D’ailleurs, ces nègres inhospitaliers se bornèrent à faire bonne garde autour du tata, dont ils refusaient si formellement l’entrée, sans se livrer à aucun acte d’hostilité plus directe.

Quels que fussent les motifs d’une telle attitude, les voyageurs ne purent se ravi-