Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/118

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Malik acceptait le présent, mais pour l’offrir à Jane Buxton, qui, d’ailleurs, s’empressait de le joindre à la réserve collective dont serait composé le prochain repas de tous.

Ainsi chacun faisait son devoir, tout en réagissant selon son tempérament personnel.

Barsac inclinait plutôt vers la colère. Il ne parlait guère, et, si parfois un mot s’échappait de ses lèvres, ce mot s’adressait généralement au Gouvernement français, dont l’incapacité l’avait mis, lui Barsac, dans un pareil pétrin. Déjà, il se voyait à la tribune de la Chambre. En attendant, il préparait ses foudres, qu’il lancerait au retour, tel Jupiter, du haut de cet Olympe parlementaire.

Le docteur Châtonnay parlait peu lui aussi, mais, bien que fort inhabile à la chasse, il ne s’en rendait pas moins utile. Il cherchait les fruits comestibles, qu’il découvrait assez souvent, et, soucieux avant tout de conserver au moins l’apparence de la gaieté, il ne manquait jamais de rire, avec son éternel bruit de vapeur fusante, au moindre mot que prononçait Amédée Florence.

— Dommage, docteur, lui disait ce dernier, que vous n’ayez que l’échappement des gaz. Vous n’auriez pas le moteur sur vous, par hasard ? C’est ça qui ferait notre affaire !

Et l’excellent docteur de rire de nouveau, par principe.

M. Poncin parlait moins encore, puisqu’il n’ouvrait pas la bouche. Il ne chassait pas, ne pêchait pas, et, d’ailleurs, ne se plaignait pas. Il ne faisait rien, M. Poncin, si ce n’est écrire de temps à autre quelque mention sur son mystérieux carnet, ce dont Amédée Florence était toujours fort intrigué.

Saint-Bérain se comportait comme à l’ordinaire, ni plus gai, ni plus triste qu’au moment du départ. Peut-être ignorait-il dans quelle situation il se trouvait, et était-il distrait au point de ne pas savoir qu’il avait faim.

À en juger par les apparences, il eût semblé que Jane Buxton supportait avec moins de philosophie les épreuves dont le sort l’accablait, et pourtant celles-ci étaient étrangères à la tristesse grandissante que reflétait son visage. N’ayant jamais espéré que le voyage s’accomplirait sans effort, elle acceptait d’un coeur ferme les obstacles qu’elle rencontrait sur sa route. Amaigrie, affaiblie par les privations et par les souffrances de toute espèce, son énergie, du moins, demeurait intacte, et sa pensée restait tendue vers le but qu’elle s’était fixé. Mais, à mesure qu’elle en approchait, son trouble, son angoisse augmentaient sans qu’elle pût s’en défendre. Quelle réponse allait donner la sépulture de Koubo ? Que lui apprendrait l’enquête qu’elle entamerait ensuite, en prenant comme centre de ses recherches les lieux où son frère était tombé ? Apprendrait-elle quelque chose seulement, et ne lui faudrait-il pas revenir les mains vides ? Ces questions se pressaient dans son esprit, chaque jour plus impérieuses et plus absorbantes.

Amédée Florence n’était pas sans avoir remarqué la tristesse de Jane Buxton, et il la combattait de tout son pouvoir. En fait, il était l’âme de ce petit monde, et les pires épreuves n’avaient aucune influence sur sa persistante gaieté. À l’entendre, on devait remercier le Ciel pour sa paternelle bienveillance, aucun autre genre de vie ne pouvant être aussi rigoureusement conforme à une hygiène bien comprise. Quoi qu’il arrivât, il s’en applaudissait. Avait-on soif ? Rien de plus favorable à sa dilatation d’estomac commençante. Avait-on faim ? Rien de meilleur pour combattre l’arthritisme qui le guettait. Était-on exténué de fatigue ? On n’en dormirait que mieux, d’après lui. Et il en appelait au docteur Châtonnay, qui approuvait, en admirant le courage et l’énergie du brave garçon.