Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/120

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faire un pas sans qu’il fût connu d’ennemis invisibles mais toujours présents.

— J’irai plus loin, ajouta-t-il, et j’oserai prétendre que nos adversaires sont pour nous des relations déjà anciennes, presque de vieux camarades. Je soutiendrai mordicus, jusqu’à preuve du contraire, qu’ils se composent exactement de vingt Noirs et de trois Blancs, et que l’un de ceux-ci ressemble comme un frère à notre élégant ami, le soi-disant lieutenant Lacour, si avantageusement connu de l’honorable société ici présente.

— Sur quoi repose cette hypothèse, monsieur Florence, demanda Barsac.

— Sur ceci, d’abord, que notre prétendue escorte a pu aisément connaître nos intentions et nous précéder sur la route que nous devions suivre, afin d’y faire, contre nous, le joli travail que vous avez pu admirer, tandis qu’il serait difficile d’admettre la présence d’une autre troupe, qui se serait livrée, tout en ignorant notre existence, aux mêmes distractions, dans un but qui serait alors inexplicable. Il y a encore autre chose. Les habitants des villages détruits et le vieux nègre que le docteur a rafistolé avant Kadou ont été frappés de la même manière. Donc, les meurtriers étaient déjà dans nos environs avant l’arrivée de la deuxième escorte, de même qu’ils y sont après son départ.

— Peut-être avez-vous raison, monsieur Florence, reconnut Barsac, mais vous ne nous apprenez pas grand-chose, après tout. Personne de nous n’a jamais douté que la dévastation de ce pays ne fût dirigée contre nous. Que cette dévastation soit l’œuvre du lieutenant Lacour ou de tout autre, que ces bandits soient autour de nous, au lieu de nous précéder comme nous le supposions, cela ne change rien à notre situation.

— Ce n’est pas mon avis, répliqua Amédée

Florence. C’est si peu mon avis, que je me suis décidé à parler ce soir, après avoir longtemps gardé le silence pour ne pas accroître inutilement vos craintes. Mais nous voici arrivés au but, malgré tout. Demain, ou nous serons à Koubo, à l’abri, par conséquent, ou bien nous aurons changé de direction, et l’on cessera peut-être de nous persécuter. Je souhaiterais, je l’avoue, tromper pour une fois la surveillance dont nous sommes l’objet, afin que personne ne sache ce que nous sommes venus faire ici.

— Pour quel motif ? demanda Barsac.

— Je n’en sais trop rien, avoua Florence. C’est une idée que j’ai comme ça. Mais il me paraît préférable, dans l’intérêt de miss Buxton, que le but de son voyage ne soit pas connu avant qu’elle ait pu mener à bien son enquête.

— Je suis d’accord avec M. Florence, approuva Jane Buxton. Qui sait si nos adversaires ne sont pas sur le point d’entamer plus franchement la lutte ? Ce sera peut-être demain qu’ils nous attaqueront, et peut-être me feront-ils échouer au port. Je ne voudrais pourtant pas être venue si loin sans atteindre mon but. C’est pourquoi je pense que M. Florence a raison de vouloir échapper aux espions qui nous entourent. Malheureusement, je n’en vois guère le moyen.

— Rien de plus facile au contraire, à mon sens, expliqua Amédée Florence. Il est incontestable que, jusqu’ici tout au moins, ceux qui nous en veulent ne se sont risqués à aucune tentative directe. Ils se contentent de contrecarrer notre marche et de nous espionner, en se réservant, si l’idée de miss Buxton est juste, d’intervenir plus efficacement le jour où notre entêtement sera devenu supérieur à leur patience. Il est donc probable que leur surveillance se relâche quand ils sont certains que nous avons fait définitivement halte pour la nuit. La régularité de nos habitudes doit les rassurer, et ils ne mettent pas en doute, qu’ils nous retrouveront le matin là où ils nous ont quittés le soir. Il n’y a aucune raison pour que leur