Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/121

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garde soit plus vigilante aujourd’hui que les autres jours, à moins qu’ils ne se soient résolus à une attaque immédiate. Encore, dans ce cas, serait-il plus opportun que jamais d’essayer de filer par la tangente. Mais, s’il n’en est pas ainsi, rien de plus simple que de partir tout à l’heure, en profitant de l’obscurité. Nous nous en irons successivement, en faisant le moins de bruit possible, tous dans la même direction, après être convenus d’un rendez-vous général. Après tout, ce n’est pas une armée innombrable que nous avons à nos trousses, et il faudrait une remarquable guigne pour que nous tombions juste sur le séduisant lieutenant Lacour.

Ce plan, chaudement approuvé par Jane Buxton, fut adopté. On convint que, les uns après les autres, on s’en irait dans l’Est, jusqu’à un fort bouquet d’arbres, distant d’un kilomètre environ, qu’on avait aperçu avant la tombée de la nuit. Ces arbres étaient maintenant invisibles, mais on savait dans quelle direction ils se trouvaient, et l’on pouvait les atteindre sûrement, en se guidant sur une étoile qui scintillait à l’horizon, au-dessous de gros nuages qui augmentaient encore l’obscurité. Tongané partirait le premier, puis Jane Buxton, puis Malik. Les autres Européens viendraient ensuite à tour de rôle, Amédée Florence devant fermer la marche.

Le départ s’effectua sans incident. Deux heures plus tard, les six Européens et les deux Noirs étaient réunis à la lisière du bouquet d’arbres. On se hâte de le traverser, de façon à placer cet impénétrable écran entre les fugitifs et leurs ennemis. On s’avança ensuite plus librement. La proximité du but rendait des forces aux moins valides. Personne ne sentait plus sa fatigue.

Après une demi-heure de marche rapide, Tongané s’arrêta. D’après lui, on devait être arrivé à l’endroit même où la troupe révoltée de George Buxton avait été exterminée ; mais, dans cette nuit profonde, il ne pouvait indiquer avec exactitude le point précis qui intéressait Jane Buxton. Il fallait attendre le jour.

On prit donc quelques heures de repos. Seule, Jane Buxton, incertaine de ce que la prochaine aube lui réservait, ne put trouver le sommeil. Plus pressantes que jamais, cent questions se posaient pour elle. Son malheureux frère était-il réellement mort et en découvrirait-elle une preuve que le temps n’eût pas détruite ? Si une telle preuve existait, tendrait-elle à confirmer le crime, à démontrer l’innocence, ou la laisserait-elle dans la même incertitude ? Et demain, dans quel sens commencerait-elle l’enquête qu’elle avait résolue ? Les derniers témoins du drame n’étaient-ils pas dispersés, disparus, morts peut-être à leur tour, ou bien serait-il possible de retrouver quelques-uns d’entre eux ? Et si elle y parvenait, quelle serait la vérité qui sortirait de leur bouche ?

Un peu avant six heures, tout le monde fut debout. Tandis que le jour se levait, on attendit, étreint par une vive émotion, les yeux fixés sur Tongané, qui examinait les alentours et cherchait ses points de repère.

— Là, dit enfin le nègre en désignant un arbre éloigné de trois à quatre cents mètres, qui s’élevait solitairement dans la plaine.

En quelques instants, on fut au pied de cet arbre. Tongané continuant à se montrer très affirmatif, on attaqua le sol au point qu’il désignait, bien que rien n’indiquât qu’une tombe eût jamais existé à cet endroit. Fébrilement, les couteaux fouillèrent la terre, qu’on rejetait à pleines mains sur les bords du trou qui se creusait rapidement.

— Attention ! s’écria tout à coup le reporter… Voici des ossements…