Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/124

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cette contrée remarquablement plate. Peu à peu ces faibles scintillements de l’ouest et les puissants éclats de l’est se rapprochèrent les uns des autres, les premiers lentement, les seconds très vite, tous deux convergeant vers le point occupé par les dormeurs.

Tout à coup, ceux-ci furent réveillés en sursaut par l’étrange ronflement qu’ils avaient déjà entendu après leur départ de Kankan, mais le ronflement était aujourd’hui plus proche et infiniment plus intense. À peine avaient-ils ouvert les yeux, que des lumières fulgurantes, émanant d’une dizaine de foyers de grande puissance tels que des projecteurs électriques, jaillissaient soudainement dans l’Est, à moins de cent mètres d’eux. Ils cherchaient encore à se rendre compte de la nature du phénomène, quand des hommes, sortant des ombres du nord et du sud, entrèrent dans le cône éclairé et bondirent sur les dormeurs étourdis, aveuglés. En un instant, ceux-ci furent renversés.

Dans la nuit, une voix brutale demanda en français :

— Y êtes-vous, les garçons ?

Puis, après un silence :

— Le premier qui bouge, une balle dans la tête… Allons ! en route, nous autres !

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
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DEUXIÈME PARTIE


I

blackland

Presque au croisement du deuxième degré de longitude ouest et du seizième degré de latitude nord, c’est-à-dire un peu en aval du point le plus septentrional atteint par le Niger, la ville de Gao-Gao s’élève sur la rive gauche de ce fleuve qui, dans cette partie de son cours, marque la limite sud-ouest du Sahara. Au-delà commence le Grand-Désert, qui se continue, dans le Nord, jusqu’au Maroc, l’Algérie et la Tripolitaine, dans l’Est, jusqu’à l’Égypte et la Nubie, dans le Sud, jusqu’aux possessions européennes de l’Afrique centrale, dans l’Ouest jusqu’à l’océan. Les oasis les plus voisines de Gao-Gao, l’Adrar, au nord, l’Aïr, à l’est, en sont encore séparées, la première par quatre cents, la seconde par neuf cents kilomètres de sable. Sur les cartes de géographie les plus exactes et les plus récentes, cette immense étendue de trois cent soixante mille kilomètres carrés n’est représentée que par un espace entièrement vierge. À l’époque où la mission commandée par le député Barsac subissait les épreuves qui ont été relatées dans la première partie de ce récit, personne ne l’avait traversée, personne n’y avait pénétré. Elle était complètement inconnue.

À cette époque, les plus étranges légendes couraient sur cette région inexplorée parmi les riverains du Niger. Parfois, racontaient les indigènes, on voyait passer, s’enfuyant à tire-d’aile vers ces plaines arides ou en arrivant, d’immenses oiseaux noirs aux yeux de feu. D’autres fois, à les entendre, c’était une horde de grands diables rouges, montés sur des chevaux fougueux dont les naseaux jetaient des flammes, qui sortaient tout à coup de la contrée mystérieuse. Ces cavaliers fantastiques traversaient les bourgades au galop, tuant, massacrant ceux qui se trouvaient sur leur passage, puis repartaient dans le désert, emportant en travers de leurs selles des hommes, des femmes, des enfants, qui ne revenaient jamais.