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Dans cette troisième section habitaient, sous l’appellation commune de Civil Body1, les Blancs qui n’avaient pu entrer dans la première. En attendant qu’une place devînt libre dans celle-ci, ce qui n’était jamais très long, les mœurs brutales pratiquées à Blackland y rendant les décès très fréquents, ils faisaient un stage dans le Civil Body, qui pouvait être considéré, par conséquent, comme un purgatoire, dont le corps des Merry Fellows eût été le paradis. Pour vivre jusqu’à ce moment, les Merry Fellows seuls étant entretenus par le chef sur le produit des affaires communes,

1 Corps civil, corporation civile. ils se livraient au négoce. Leur section était donc le quartier commerçant de la ville, et c’est là que les Merry Fellows trouvaient contre argent une infinité de produits jusqu’aux plus luxueux, que le marchand avait achetés au chef suprême, lequel se les était procurés soit par le pillage, soit, quand il s’agissait d’objets de provenance européenne, par des moyens qui n’étaient connus que de lui et de son entourage immédiat.

Au moment où il est, pour la première fois, parlé de Blackland dans ce récit, cette troisième section comptait deux cent quatre-vingt-six habitants, dont quarante-cinq femmes blanches, lesquelles ne valaient pas plus cher que leurs concitoyens mâles de même couleur.

Entre la première et la troisième section, la deuxième, dont la superficie dépassait trente et un hectares et demi, occupait tout le reste de la ville. C’était le quartier des esclaves, dont le nombre s’élevait alors à cinq mille sept cent soixante-dix-huit, dont quatre mille cent quatre-vingt-seize hommes et mille cinq cent quatre-vingt-deux femmes. C’est là qu’ils habitaient, à très peu d’exceptions près. Là étaient leurs cases. Là s’écoulait leur triste vie.

Chaque matin, les quatre portes percées dans la muraille de cet enfer s’ouvraient, et, sous la conduite de Merry Fellows armés de matraques et de revolvers, ceux des nègres qui n’étaient pas occupés aux soins de la ville allaient, par brigades, se livrer aux travaux agricoles. Le soir, le lamentable troupeau revenait de la même manière, et les lourdes portes se refermaient jusqu’au lendemain. Nulle issue sur l’extérieur. D’un côté, les Merry Fellows, de l’autre le Civil Body. De toutes parts, des êtres aussi sanguinaires et aussi féroces.

Beaucoup de ces misérables mouraient, soit en raison des privations qu’ils enduraient, soit sous les coups de leurs gardiens trop souvent transformés en meurtriers. C’était un petit malheur. Une razzia avait tôt fait de combler les vides et de remplacer par d’autres martyrs ceux que la mort avait délivrés.

Mais les quartiers de la rive droite, qui