Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/127

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s’est terminée la première partie de ce récit, Harry

Killer, venant nul ne savait d’où, avec quelques individus de sa trempe, était arrivé à ce point du désert où devait s’élever Blackland, il y avait planté sa tente, et avait dit : « Là sera la ville. » Et Blackland était sortie du sable comme par enchantement.

C’était une ville très singulière. Bâtie en terrain parfaitement plat, sur la rive droite de l’oued Tafasasset, rivière éternellement à sec jusqu’au jour où la volonté d’Harry Killer l’avait remplie d’eau courante, elle affectait la forme d’un demi-cercle rigoureux et mesurait exactement douze cents mètres du nord-est au sud-ouest, c’est-à-dire parallèlement à cette rivière, et non moins exactement six cents mètres du nord-ouest au sud-est. Sa superficie, qui atteignait, par conséquent, cinquante-six hectares environ, était divisée en trois sections très inégales, que limitaient d’infranchissables murailles en pisé demi-circulaires et concentriques, hautes de dix mètres et d’une épaisseur presque égale à la base.

En bordure immédiate de la rivière, dont le nom primitif avait été changé par Harry Killer en celui de Red River, la rivière rouge, la première section avait été tracée avec un rayon de deux cent cinquante mètres. Un boulevard large de cent mètres, enlevé aux deux pointes de la deuxième section, et suivant la berge de la rivière jusqu’à ce qu’il rencontrât la troisième, augmentait notablement sa surface, dont le total approchait de dix-sept hectares.

C’est dans la première section qu’habitait l’aristocratie de Blackland, ceux qu’on désignait, par antiphrase, sous le nom de Merry Fellows1. À l’exception de quelques-uns d’entre eux appelés à des destinées plus hautes, les compagnons d’Harry Killer, au moment où il s’était résolu à fonder une ville en ce lieu, avaient été l’embryon de ce corps des Merry Fellows. Autour de ce premier noyau étaient venus bientôt se grouper une foule de bandits, échappés des prisons et des bagnes, que Killer avait attirés, en leur promettant la satisfaction sans limites de leurs

1 Les Joyeux Garçons. détestables instincts. En peu de temps, les Merry Fellows avaient ainsi atteint le nombre de cinq cent soixante-six, qui, sous aucun prétexte, ne devait être dépassé.

Les fonctions des Merry Fellows étaient multiples. Organisés d’une façon militaire, puisqu’ils comprenaient un colonel, cinq capitaines, dix lieutenants et cinquante sergents, commandant respectivement à cinq cents, cent, cinquante et dix hommes, ils constituaient en premier lieu l’armée de Blackland et faisaient la guerre. Guerre sans grand mérite, au surplus, guerre de rapines, qui consistait uniquement à piller de misérables villages et à massacrer ceux de leurs habitants qu’on n’emmenait pas en esclavage. Les Merry Fellows exerçaient, en outre, la police de la ville, et dirigeaient, à coups de matraque, quand ce n’était pas à coups de revolver, les esclaves chargés de toutes les besognes sans exception, et notamment des travaux agricoles. Mais, par-dessus tout, ils formaient la garde du chef, et en exécutaient aveuglément les volontés.

La troisième section, la plus éloignée du centre, ne comportait qu’un espace semi-circulaire, long de seize cents mètres, large de cinquante, dont les deux extrémités aboutissaient en même temps à la première et à la Red River, et qui suivait le pourtour de la ville, entre la muraille qui la ceinturait extérieurement et celle limitant la deuxième section, où les esclaves étaient parqués.