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son négoce des plus restreints et des plus irréguliers.

Vers onze heures du matin environ, Harry Killer était seul dans son appartement personnel. Il réfléchissait profondément, et ses pensées ne devaient pas être plaisantes, à en juger par l’expression de son visage.

La sonnerie du téléphone retentit.

— J’écoute ! dit Harry Killer en s’emparant du récepteur.

— Ouest, dix-sept degrés sud, dix planeurs en vue, lui annonça le téléphone.

— Je monte, répondit Harry Killer, qui raccrocha l’appareil. En quelques minutes, il atteignit le faîte du Palais, au-dessus duquel s’élevait une tour d’une dizaine de mètres de hauteur, où il monta également. Sur la plate-forme se trouvait le Merry Fellow qui l’avait averti :

— Là, fit celui-ci, en montrant un point de l’espace.

De nouveau, il fouilla l’horizon de l’ouest. Puis, abaissant la longue-vue :

— Appelle les conseillers, Roderik, dit-il. Je descends.

Tandis que le Merry Fellow exécutait l’ordre reçu en téléphonant aux divers membres du Conseil, Harry Killer descendit rapidement jusqu’à l’esplanade ménagée entre l’Usine et le Palais. Successivement les neuf conseillers vinrent l’y rejoindre. Les yeux levés vers le ciel, ils attendirent.

Leur attente fut brève. Les planeurs signalés grossissaient à vue d’œil. Quelques minutes plus tard, ils atterrissaient doucement sur l’esplanade.

Les yeux d’Harry Killer brillèrent de plaisir. Si quatre des planeurs ne contenaient que leurs conducteurs respectifs, les six autres transportaient chacun deux passagers supplémentaires : un homme de la Garde noire et un prisonnier étroitement garrotté, et dont une étoffe disposée en forme de sac emprisonnait le buste.

Les six prisonniers furent délivrés de leurs entraves. Quand leurs yeux éblouis eurent repris l’habitude du grand jour, ils regardèrent autour d’eux avec surprise. Ils se trouvaient sur une vaste place entourée de tous côtés par d’infranchissables murailles. À quelques pas, les appareils étranges qui les avaient transportés dans les airs. Devant eux, la masse énorme du Palais surmonté de sa tour, et trente nègres de la Garde noire massés en un groupe compact. Plus près, un autre groupe de dix hommes d’aspect peu rassurant. Derrière eux, à plus de cent mètres, un mur long de deux cent cinquante mètres sans porte ni fenêtre, au-dessus duquel apparaissait une haute cheminée d’usine et un frêle pylône métallique plus élevé encore, dont l’usage leur était inconnu. Où étaient-ils ? Quelle était cette forteresse que n’indiquait aucune des cartes de l’Afrique, dont, tous, ils avaient fait une étude attentive et patiente ?

Tandis qu’ils se posaient ces questions, Harry Killer fit un signe, et, sur l’épaule de chaque prisonnier, une main brutale s’abattit. Bon gré, mal gré, il leur fallut marcher vers le Palais, dont la porte s’ouvrit devant eux et se referma derrière eux.

Jane Buxton, Saint-Bérain, Barsac, Amédée Florence, le docteur Châtonnay et M. Poncin étaient définitivement au pouvoir d’Harry Killer, autocrate de Blackland, capitale inconnue d’un empire inconnu.


II

à tire-d’aile

(Carnet de notes d’Amédée Florence.)

25 mars. — Voilà près de vingt-quatre heures que nous sommes à… Au fait, où sommes-nous ? On me dirait que c’est dans la lune, je n’en serais pas autrement surpris, étant donné le mode de locomotion dont nous