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Pas gai, le paysage. Devant moi, c’est une haute muraille sans la moindre ouverture, et, dans la direction opposée, le spectacle est rigoureusement identique. À ma gauche, c’est encore la même chose. La perspective n’est pas variée, décidément ! Toutefois, au-dessus de ce troisième mur, qui règne à ma gauche, j’aperçois une espèce de tour et une haute cheminée. Serait-ce une usine ? C’est possible, tout me paraît possible, excepté de concevoir l’usage de cet interminable pylône qui s’élève, s’élève, à cent mètres peut-être au-dessus de la tour.

À ma droite, le point de vue est différent, sans être pour cela plus enchanteur. Je compte deux vastes bâtiments et, en avant, une construction énorme, une espèce de forteresse avec redans et mâchicoulis.

Mes compagnons de captivité sont au complet, sauf Tongané, malheureusement, et sauf aussi Malik qui était cependant présente à l’étape de ce matin. Qu’en a-t-on fait ?

N’ayant pas eu, comme moi, l’avantage de jouir d’une fenêtre ouvrant sur la campagne, mes amis semblent très incommodés par la lumière du jour. Ils ne doivent pas voir grand-chose, car leurs yeux papillotent, et ils les frottent énergiquement.

Ils les frottent encore, quand une main s’abat sur l’épaule de chacun de nous. On nous entraîne, on nous pousse, ahuris, désemparés…

Que nous veut-on enfin, et où diable pouvons-nous être ?…

Hélas ! Une minute plus tard, nous étions en prison.


III

un despote


(Carnet de notes d’Amédée Florence.)

26 mars. — Me voici donc en prison. Après avoir joué les Mazeppa, je joue les Silvio Pellico.

Comme je viens de le coucher sur ces tablettes, c’est avant-hier, un peu avant midi, que nous avons été incarcérés. En ce qui me concerne, j’ai été empoigné par trois moricauds qui m’ont fait monter, non sans brutalité, un escalier, puis suivre un corridor sombre, aboutissant à une longue galerie, sur laquelle donnent nos cellules. Aux deux bouts de cette galerie, facile à surveiller, sont placées des sentinelles. Il est douteux que nous puissions nous échapper par là.

On m’introduit dans une pièce éclairée par un vitrail doublé d’une grille de fer, placé à quatre mètres au-dessus de ma tête, et on referme la porte sur moi à triple verrou. Je reste seul en compagnie de mes pensées, qui ne sont pas couleur de rose.

La cellule est vaste et bien aérée. Elle contient une table avec ce qu’il faut pour écrire, une chaise, un lit qui paraît propre et des