Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/142

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heure de vol environ, voici que j’aperçois tout à coup des palmiers, des prairies, quelques jardins. C’est une oasis, mais une oasis de proportions restreintes, car son diamètre atteint au maximum cent cinquante mètres, elle disparaît aussitôt apparue. Mais, à peine l’avons-nous laissée en arrière, qu’une autre surgit de l’horizon devant nous, puis, après cette deuxième, c’en est une troisième, au-dessus de laquelle nous passons en trombe.

Chacune de ces oasis ne contient qu’une maisonnette. Un homme en sort, attiré par le bruit de notre appareil aérien. Je n’en aperçois pas d’autre. Ces îlots n’auraient-ils donc qu’un seul habitant ?

Mais un nouveau problème se pose, encore plus insoluble. Depuis la première oasis, notre machine volante domine une ligne de poteaux si régulièrement espacés que je les imagine reliés par un fil métallique. Je crois rêver. Le télégraphe — à moins que ce ne soit le téléphone — en plein désert ?

Après que nous avons dépassé la troisième oasis, une quatrième, beaucoup plus importante, surgit devant nous. J’aperçois des arbres, non seulement des palmiers, mais des essences variées, qui semblent être des karités, des bombax, des baobabs, des acacias. Je vois aussi des champs cultivés, merveilleusement cultivés même, où de nombreux nègres travaillent. Puis des murailles se lèvent à l’horizon, vers lesquelles nous nous précipitons.

C’est à cette cité inconnue que nous allons, car voici que notre oiseau féerique commence à descendre. Nous sommes bientôt au-dessus d’elle. C’est une ville de médiocre grandeur, mais combien singulière ! Je distingue nettement ses rues demi-circulaires et concentriques, tracées suivant un plan rigoureux. La partie centrale est à peu près déserte, et ne contient à cette heure de la journée qu’un petit nombre de nègres qui se cachent dans leurs cases en entendant le ronronnement des machines volantes. Par contre, dans la périphérie, les habitants ne manquent pas. Ce sont des Blancs, qui nous regardent, et, Dieu me pardonne, paraissent nous montrer le poing. Je me demande en vain ce que nous leur avons fait.

Mais la machine qui me porte accentue sa descente. Nous franchissons une rivière étroite, puis, aussitôt, j’ai l’impression que nous tombons comme une pierre. En réalité, nous décrivons une spirale qui me donne la nausée. Le coeur me monte aux lèvres. Vais-je donc… ?

Non, le bourdonnement de l’hélice a cessé et notre machine a touché terre. Elle glisse sur le sol pendant quelques mètres avec une vitesse décroissante, et s’arrête.

Une main tire le sac qui entoure ma tête et l’enlève. Je n’ai que le temps de rouler mes liens autour de mes mains, que je replace dans leur position primitive.

Le sac enlevé, on libère mes membres. Mais celui qui me délivre s’aperçoit de la fraude.

— Who is the damned dog’s son that has made this knot ? (Quel est le damné fils de chien qui a fait ce noeud ?) interroge une voix avinée.

Comme bien on pense, je n’ai garde de répondre. Après mes mains, on délie mes jambes. Je les agite avec un certain plaisir.

— Get up ! (Debout !) commande avec autorité quelqu’un que je ne vois pas.

Je ne demande pas mieux, mais obéir n’est pas très aisé. Depuis le temps que la circulation du sang est arrêtée dans mes membres, ceux-ci me refusent leur service. Après quelques tentatives infructueuses, je parviens cependant à me lever et à jeter un premier coup d’oeil sur ce qui m’entoure.