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Après quelques instants d’attente, pendant lesquels il ne survient rien de particulier, l’une des taches est masquée tout à coup par un nuage de fumée. Quand la fumée s’est dissipée, la tache a disparu.

— Qu’est devenu l’homme qui travaillait là ? demande Mlle Mornas d’une voix étranglée par l’émotion.

— Il est mort, répondit froidement Harry Killer.

— Mort !… nous écrions-nous. Vous avez tué sans raison ce malheureux !…

— Rassurez-vous, ce n’est qu’un nègre, explique Harry Killer avec une parfaite simplicité. Marchandise sans valeur. Quand il n’y en a plus, il y en a encore. Celui-ci a été démoli par une torpille aérienne. C’est une sorte de fusée qui porte jusqu’à vingt-cinq kilomètres, et dont vous avez pu apprécier la rapidité et la précision.

Pendant que nous écoutons ces explications, autant du moins que nous le permet le trouble que nous cause une aussi abominable cruauté, quelque chose est entré dans notre champ visuel, s’est élevé rapidement le long de la muraille laiteuse, et la seconde tache a disparu à son tour.

— Et cet homme ? interroge Mlle Mornas, haletante. Est-il mort, lui aussi ?

— Non, répond Harry Killer, celui-là est vivant. Vous allez le voir dans un instant.

Il sort, entouré de sa garde qui nous pousse au-dehors. Nous voici de nouveau sur la plate-forme de la tour. Nous regardons autour de nous, et, à quelque distance, nous voyons accourir, avec la vitesse d’un météore, un appareil semblable à celui qui nous a transportés ici. Suspendu au-dessous du plateau inférieur, nous distinguons un objet qui se balance.

— Voici le planeur, dit Harry Killer, qui nous apprend ainsi le nom de la machine volante. Dans moins d’une minute, vous saurez s’il est possible d’entrer ici ou d’en sortir malgré moi.

Le planeur s’approche rapidement, en effet. Il grossit à vue d’oeil… Nous frissonnons soudain : l’objet qui oscille au-dessous de lui, c’est un nègre, qu’une espèce de tenaille géante a saisi par le milieu du corps.

Le planeur s’approche encore… Il passe au-dessus de la tour… Horreur ! la tenaille s’est ouverte, et le malheureux nègre est venu s’écraser à nos pieds. Hors de sa tête broyée, la cervelle a jailli de toutes parts, et nous sommes éclaboussés de sang.

Un cri d’indignation est sorti de nos poitrines. Mais Mlle Mornas ne se contente pas de crier, elle agit. Les yeux étincelants, pâle, les lèvres exsangues, elle bouscule ses gardiens surpris et se précipite sur Harry Killer.