Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Lâche !… Misérable assassin !… lui crie-t-elle en plein visage, tandis que ses petites mains se nouent à la gorge du bandit.

Celui-ci s’est dégagé sans effort, et nous tremblons pour l’audacieuse. Hélas ! nous ne pourrions lui porter secours. Les gardes se sont emparés de nous et nous maintiennent à demi renversés.

Heureusement, il ne semble pas que le despote ait, pour le moment du moins, l’intention de punir notre courageuse compagne, que deux hommes ont entraînée en arrière. Si sa bouche a un rictus cruel, quelque chose comme une expression de plaisir passe dans ses yeux, qu’il tient fixés sur la jeune fille encore toute frémissante.

— Eh ! eh !… fait-il, d’un ton assez bonhomme, elle a du sang, la pouliche.

Puis, repoussant du pied les restes du misérable nègre :

— Ça !… dit-il. Il ne faut pas vous émouvoir pour si peu, ma petite.

Il descend, on nous entraîne à sa suite, et on nous ramène dans cette salle, si richement meublée d’une table et d’un unique siège, que j’appellerai désormais pour cette raison la salle du Trône. Harry Killer prend place sur ledit trône et nous regarde.

Quand je dis qu’il nous regarde !… À la vérité, il ne fait attention qu’à Mlle Mornas. Il tient, fixés sur elle, ses yeux effrayants, dans lesquels s’allume peu à peu une lueur mauvaise.

— Vous connaissez maintenant mon pouvoir, dit-il enfin, et je vous ai prouvé que mes offres ne sont pas à dédaigner. Je les renouvelle pour la dernière fois. On m’a dit qu’il y avait parmi vous un député, un médecin, un journaliste et deux imbéciles…

Pour M. Poncin, soit ! Mais pour le pauvre Saint-Bérain, quelle injustice !

— Le député négociera, le cas échéant, avec la France, je construirai un hôpital pour le médecin, le journaliste entrera au Blackland’s Thunder, et je verrai à utiliser les deux autres. Reste la petite. Elle me plaît… Je l’épouse.

On pense si nous tombons des nues, en entendant cette conclusion inattendue. Mais, avec un fou !…

— Rien de tout cela ne se réalisera, répond M. Barsac avec fermeté. Les crimes abominables dont vous nous avez rendu témoins ne nous ont pas ébranlés, au contraire. Nous subirons la force autant qu’il le faudra, mais nous ne serons jamais, quoi qu’il arrive, que vos prisonniers ou vos victimes. Quant à Mlle Mornas…

— Ah ! c’est Mornas, qu’elle s’appelle, ma future femme ? interrompit Harry Killer.

— Que je m’appelle Mornas ou autrement, s’écrie notre compagne absolument folle de colère, sachez que je vous considère comme une bête féroce, comme un être abject et repoussant, et que je tiens votre proposition pour l’injure la plus vile, la plus honteuse, la plus…

La voix s’étrangle dans la gorge de Mlle Mornas, qui éclate en sanglots convulsifs. Quant à Harry Killer, il se contente de rire. Le vent est à la clémence, décidément.

— C’est bon… c’est bon !… dit-il. Rien ne presse. Je vous donne à tous un mois de réflexion.

Mais le baromètre a baissé soudain, et c’est la fin du beau temps. Il se redresse, et, s’adressant aux gardes :

— Qu’on les emmène ! crie-t-il d’une voix tonnante.

M. Barsac résiste un instant aux gardes qui l’entraînent. Il interpelle Harry Killer.

— Et, dans un mois, que ferez-vous de nous ? lui demande-t-il.

Déjà, le vent a tourné. Le despote ne s’occupe plus de nous, et sa main tremblante élève vers sa bouche une rasade d’alcool qu’il vient de se verser. À la question de