Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

se rencontre, de se serrer la main et de se dire bonjour, et on considère comme indispensable d’échanger des paroles historiques, tandis qu’un auditoire, toujours amusé, malgré l’accoutumance, par le comique spécial de cette formalité, se range en cercle autour des orateurs.

C’est en vertu de ce protocole que, sur le lieu même du débarquement, M. Valdonne, escorté de ses principaux fonctionnaires, qu’il eut soin de présenter, souhaita solennellement la bienvenue aux visiteurs de marque qui lui arrivaient, sinon du ciel, du moins des lointains de l’océan. D’ailleurs, rendons-lui cette justice, il fut bref, et sa courte harangue obtint un succès mérité.

Barsac, qui lui répondit, en sa qualité de chef de la mission, prit ensuite la parole en ces termes :

— Monsieur le gouverneur, messieurs, prononça-t-il avec l’accent de la reconnaissance — et du Midi ! — après avoir toussé pour s’éclaircir la voix, mes collègues et moi nous sommes profondément touchés des paroles que nous venons d’entendre. La cordialité de votre accueil est pour nous de favorable augure, au moment où commence réellement une entreprise dont nous ne nous exagérons pas, au surplus, les difficultés. Nous savons que, sous la généreuse administration de la métropole, ces contrées, jadis explorées au milieu de tant de périls par les hardis pionniers de la patrie, connaissent enfin la paix française, si vous voulez bien autoriser cette expression pompeuse empruntée à nos ancêtres les Romains. C’est pourquoi, ici, au seuil de cette belle ville de Konakry, entourés des rangs pressés de nos compatriotes, nous avons la sensation de n’avoir pas quitté la France, et c’est pourquoi, en nous enfonçant dans l’intérieur, nous ne la quitterons pas davantage, car les laborieuses populations de ces contrées sont désormais formées des citoyens d’une France agrandie et prolongée. Puisse-t-elle augmenter encore, s’il est possible, leur attachement à la patrie, leur dévouement à la République.

M. le gouverneur Valdonne donna, comme il est d’usage, le signal des applaudissements « spontanés », tandis que Barsac faisait, en arrière, un pas que Baudrières faisait aussitôt en avant.

À la suite d’interminables conciliabules dans le cabinet du ministre, on avait décidé que Baudrières serait non pas le sous-chef, mais le chef adjoint de l’expédition. Or — mystérieuse puissance des mots ! — il en résultait, paraît-il, que si Barsac prenait la parole dans une cérémonie officielle, Baudrières la prendrait immédiatement après lui. Ainsi avait été résolu l’épineux problème des amours-propres.

— Monsieur le gouverneur, messieurs, commença Baudrières, coupant court, de cette manière, aux applaudissements dont on avait salué la péroraison de son prédécesseur, je m’associe pleinement aux éloquentes paroles de mon éminent collègue et ami. Ainsi qu’il l’a dit excellemment, chacun de nous se rend un compte exact des difficultés et des dangers que peut offrir notre exploration. Ces difficultés, nous les vaincrons de notre mieux. Quant aux dangers, ils ne sauraient nous émouvoir, puisque, entre eux et nous, des baïonnettes françaises seront interposées. Qu’il me soit donc permis d’envoyer, dès notre premier pas sur la terre d’Afrique, un salut cordial à l’escorte qui éloignera de nous jusqu’à la possibilité d’un péril. Et, ne vous y trompez pas, messieurs, en saluant cette escorte restreinte, c’est à l’armée — car n’est-elle pas tout entière, en vérité, dans l’humble troupier qui passe — c’est à l’armée, dis-je, que j’adresse mon salut. C’est donc l’armée, si chère à tous les cœurs français, qui s’associera à nos travaux, et c’est par elle que s’accroîtront dans cette entreprise obscure, comme l’ont fait si souvent les aventures glorieuses dont elle est coutumière, le prestige de la patrie et la grandeur de la République !