Page:Verne - L’Étonnante Aventure de la mission Barsac, parue dans Le Matin, avril à juillet 1914.djvu/160

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minutes, il ne va pas commander notre exécution sans phrases.

Pendant une huitaine, les conjectures pessimistes d’Amédée Florence ne se réalisèrent pas, et la vie se déroula jusqu’au 3 avril sans qu’il survînt rien de nouveau. Ce jour-là fut, en revanche, marqué par deux événements de nature différente. Vers trois heures de l’après-midi, les prisonniers furent agréablement surpris en voyant arriver Malik. Dès qu’elle aperçut Jane Buxton, Malik se précipita à ses pieds, et baisa, avec une ardeur touchante, les mains de sa bonne maîtresse également fort émue.

On apprit de la petite négresse qu’au lieu d’être transportée par les planeurs comme les autres prisonniers, elle était revenue avec quatorze hommes et les deux sergents de l’ancienne escorte, par étapes, aux cours desquelles les mauvais traitements ne lui avaient pas été épargnés. On évita d’interroger la jeune fille au sujet de Tongané, dont, à en juger par sa tristesse, elle était certainement sans nouvelles.

Deux heures après l’arrivée de Malik surgit un second incident d’une tout autre nature. Il était environ cinq heures, quand Tchoumouki accourut dans la galerie. En donnant les signes d’une vive agitation, il informa les prisonniers qu’il était dépêché par Harry Killer, avec ordre d’amener au maître Mlle Mornas, que celui-ci s’entêtait à considérer comme sa future femme.

Les prisonniers furent unanimes à répondre par un refus formel à la communication de Tchoumouki, qui dut se retirer, malgré son insistance. Dès qu’il fut parti, on commenta avec vivacité l’étrange invitation d’Harry Killer. Tous étaient d’accord sur ce point, que leur compagne ne devait sous aucun prétexte se séparer d’eux.

— Je vous remercie, mes amis, leur dit Jane Buxton, de la protection courageuse dont vous m’entourez, mais ne croyez pas que je serais sans défense, quand bien même je me trouverais seule en présence de cette brute, qui n’est pas invulnérable, après tout. Si l’on vous a fouillés, on n’a pas jugé utile de prendre une pareille précaution avec une femme, et on m’a laissé cette arme.

Jane Buxton, tout en parlant, montra le poignard trouvé dans la tombe de son frère, et qu’elle portait depuis à la ceinture.

— Soyez sûrs, conclut-elle, que je saurais m’en servir, le cas échéant.

À peine avait-elle remis à sa place le poignard que dissimulaient les basques de son corsage, que Tchoumouki revenait tout à fait affolé. Harry Killer était entré dans une colère furieuse en entendant la réponse de Mlle Mornas, et il mettait celle-ci en demeure de se rendre auprès de lui sur l’heure. Si elle persistait à s’y refuser, les six prisonniers seraient immédiatement pendus.

L’hésitation n’était plus de mise, et Jane Buxton, dans l’impossibilité de faire courir un pareil danger à ceux qu’elle avait entraînés dans cette aventure, se résolut à céder, malgré les objurgations de ses compagnons. Ceux-ci essayèrent vainement de s’opposer par la force à son départ. À l’appel de Tchoumouki, une douzaine de nègres firent irruption dans la galerie et réduisirent les cinq hommes à l’impuissance, jusqu’au moment où Jane Buxton eut disparu.

Elle ne revint que vers huit heures du soir, après une absence de trois longues heures, pendant lesquelles ses compagnons, et surtout le malheureux Saint-Bérain, qui pleurait à chaudes larmes, éprouvèrent à son sujet les pires inquiétudes.

— Eh bien ?… demandèrent-ils d’une seule voix, en l’apercevant.

— Eh bien ! ça c’est très bien passé, répondit la jeune fille encore toute frémissante.

— Que vous voulait-il enfin ?