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— Rien du tout, ou plutôt, il voulait me voir, pas davantage. Quand je suis arrivée, il avait déjà commencé à boire, comme il en a l’habitude, paraît-il, et il était à moitié ivre. Il m’a fait asseoir et s’est mis à m’adresser des compliments à sa manière. Il m’a dit que j’étais à son goût, qu’il lui serait agréable d’avoir une petite ménagère dans mon genre, et il a vanté sa puissance et ses richesses, qui sont immenses à l’entendre, et dont je jouirai comme lui quand je serai sa femme. Je l’ai écouté tranquillement, et me suis bornée à lui répondre qu’il nous avait accordé un mois de réflexion, dont une semaine seulement était écoulée. Si étrange que cela vous paraisse, il ne s’est pas révolté. Il m’a confirmé qu’il laisserait s’écouler un mois avant de prendre une décision, mais à la condition que je lui consacre toutes mes après-midi…

— Il faudra donc que tu y retournes, ma pauvre petite ! s’écria Saint-Bérain désolé.

— C’est indispensable, répondit Jane Buxton, mais je n’imagine pas que je courrai grand risque, à en juger par cette première journée. Avant sept heures, son ivresse était complète, et mon rôle n’a plus consisté qu’à bourrer ses pipes et à remplir son verre, jusqu’au moment où cette brute s’est mise à ronfler, ce dont j’ai profité pour venir vous rejoindre.

À partir de ce jour, Jane Buxton dut, en effet, aller retrouver quotidiennement, vers trois heures, Harry Killer, auprès duquel elle demeurait jusqu’à huit heures. D’après le récit qu’elle faisait chaque soir, le traité continuait à recevoir une exécution pacifique. Toutes les après-midi se passaient de la même manière. Quand elle arrivait, elle trouvait le despote en compagnie de ses conseillers, auxquels il distribuait ses ordres, qui témoignaient, d’ailleurs, d’une intelligence lumineuse. Rien de particulier dans ces instructions, qui avaient trait à l’administration de la ville ou aux travaux agricoles, et le gouvernement de Blackland n’aurait été nullement mystérieux, si Harry Killer ne s’était, de temps à autre, penché à l’oreille de l’un de ses conseillers, pour lui faire une confidence secrète, dont Jane ignorait la nature.

Le Conseil durait régulièrement jusqu’à quatre heures, puis tout le monde se retirait, tandis que Jane Buxton demeurait avec Harry Killer. Mais celui-ci ne tardait pas à la laisser seule. Tous les jours, en effet, à quatre heures et demie précises, il dispa-