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Les lieux reconnus, les fugitifs ne se décidaient pas encore à se remettre en marche. C’est qu’ils avaient aperçu, à l’angle même du mur de l’Usine, un objet des plus inquiétants : une guérite, dont les lignes classiques se dessinaient confusément à travers la pluie. Or, toute guérite implique un factionnaire, et, si on ne voyait pas celui-ci, c’est, on devait du moins le supposer, qu’il avait cherché refuge dans la sienne.

Cependant, on ne pouvait s’éterniser dans cet endroit. C’eût été le meilleur moyen d’être surpris, dans le cas où la sentinelle présumée fût sortie de son abri, comme dans le cas où la pluie eût cessé à l’improviste.

Faisant signe à ses compagnons de le suivre, Amédée Florence remonta pendant quelques mètres le chemin de ronde, en s’éloignant de la Red River, puis il acheva de le traverser, et revint sur ses pas en longeant le mur de l’Usine. De cette manière, on prendrait à revers la guérite, dont l’ouverture était vraisemblablement du côté de la rivière.

Arrivés à l’angle du mur, on s’arrêta de nouveau pour tenir conseil, puis, tout étant bien convenu, Amédée Florence, Saint-Bérain et Tongané tournèrent le coin, s’engagèrent sur le quai, et coururent jusqu’à la guérite, dans laquelle ils se jetèrent impétueusement.

Un homme, un Merry Fellow, s’y trouvait en effet. Surpris par cette attaque soudaine, que rien ne lui permettait de soupçonner, il n’eut pas le temps de faire usage de ses armes, et le cri qu’il poussa se perdit dans la rafale. Déjà Saint-Bérain, le prenait à la gorge et le terrassait, comme il avait terrassé Tchoumouki. Le Blanc s’écroula comme s’était écroulé le nègre.

Tongané courut alors au bateau, d’où il rapporta la corde, avec laquelle le Merry Fellow fut congrûment ficelé, puis, sans plus attendre, les fugitifs remontèrent la rivière dans la direction du Palais, en longeant, l’un derrière l’autre, le mur de l’Usine.

L’une des singularités de cette usine, c’était une absence jusqu’ici complète d’ouvertures donnant sur l’extérieur. Du côté de l’esplanade, il n’en existait pas, ainsi qu’on avait pu le constater du sommet du bastion. Du côté opposé, on n’en avait pas aperçu davantage, aussi loin que les regards avaient réussi à percer l’épais rideau de pluie. Et il semblait bien qu’il en fût de même pour cette façade nord qui donnait sur la rivière.

Pourtant, puisqu’on avait fait un quai, ce quai devait servir à quelque chose. Or, à quoi pouvait-il servir, sinon à décharger des marchandises apportées par des bateaux ? Il existait donc nécessairement un moyen quelconque de les introduire dans l’Usine. Ce raisonnement était juste. Après avoir